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du temps où il vécut. Entier dans ses idées, ignorant l’art subtil des nuances, inhabile à proportionner la vigueur de l’effort à la force de la résistance, il voulut tout refondre en bloc et s’attaqua, sans préparation suffisante, à tous les problèmes à la fois. En cela, il est bien du siècle où le rêve presque universel est de voir transformer la société de fond en comble, en un clin d’œil, par un coup de baguette, et de reconstruire l’édifice sur des principes immuables. S’il a, par cette méthode, manqué parfois son but et compromis son entreprise, il reste cependant qu’avec une honnêteté vaillante et une réelle justesse d’esprit, il a porté la main sur les plus graves abus qui entachaient nos institutions militaires, — tant l’inégalité des corps que la vénalité des charges, — qu’il s’est efforcé d’introduire plus de justice dans l’obtention des grades, plus de fixité dans les cadres, qu’il a travaillé de son mieux à faire du « militaire de France » un corps discipliné, solide et homogène, qu’il a repris, enfin, après quatre-vingts ans d’oubli, les grandes traditions de Louvois.

Il reste encore qu’à son départ, l’effectif de la cavalerie, de l’infanterie, de l’artillerie, était presque doublé, sans que, grâce au bon ordre et à l’économie des différens services, les dépenses de la Guerre eussent sensiblement augmenté[1]. Il faut noter enfin qu’à l’opposé de ce qui advint à Turgot, les réformes de Saint-Germain lui survécurent pour la plupart et continuèrent après sa chute à produire d’heureux fruits. Quelques-uns de ses successeurs, avec plus de prudence peut-être, n’auront qu’à suivre la même voie, à appliquer les mêmes principes, pour forger l’instrument que la vieille monarchie, avant de disparaître, léguera à la Révolution, le glorieux instrument qui, pendant des années, résistera victorieusement à l’effort combiné de toutes les puissances de l’Europe.


SEGUR.

  1. Le budget du département de la guerre, qui était de 92 millions de livres à l’avènement de Saint-Germain, s’élevait à 93 millions 500 000 livres le jour de sa retraite.