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La première intention du comte de Saint-Germain, quand il arriva au pouvoir, fut de faire table rase et de bouleverser entièrement l’ouvrage édifié par Louvois. L’austérité de ses principes répugnait à maintenir ce qu’il considérait « comme un monument de la vanité, plutôt que de la bienfaisance de Louis XIV[1]. » Il développait à ce propos une de ses maximes favorites : « L’armée est destinée à vivre dans la peine et le travail, dans la sobriété et la privation ; il ne faut donc rien y admettre qui puisse lui inspirer des mœurs coûteuses. » Dans la fastueuse demeure érigée par le Roi-Soleil, il ne voyait qu’une inconséquence périlleuse : pourquoi fallait-il « un palais » pour abriter des gens « qui devraient vivre comme des moines[2] ? » Disperser en province les pensionnaires de la maison, les réunir par petits groupes en des établissemens où ils travailleraient en commun, chacun suivant ses forces, tel était son projet, que les scrupules du Roi, des difficultés de tout genre, lui firent abandonner, pour en réaliser un autre, plus modeste.

Une ordonnance du 17 juin 1776 laissa l’institution debout, mais en y apportant des modifications notables. L’Hôtel ne devra plus contenir que 1 500 pensionnaires, tous anciens militaires, infirmes ou blessés, et reconnus après enquête comme incapables de servir. L’ordre et la discipline, parmi les invalides maintenus, seront désormais assurés par une surveillance rigoureuse. A cela, rien à dire sans doute. Mais Saint-Germain voulut aller plus loin et donner à son ordonnance effet rétroactif. Au lieu d’agir par extinction, d’attendre que la mort eût réduit les bénéficiaires au chiffre fixé par la loi, il prescrivit que, dès cette heure, au-delà des 1 500 dont il se réservait le choix, tous les occupans de l’Hôtel seraient expédiés en province, où ils recevraient des pensions qui les aideraient à vivre. Le nombre de ces sacrifiés dépassa un millier, qui reçurent, du jour au lendemain, l’annonce de leur renvoi.

L’ordre était dur et l’exécution fut brutale. Trois jours durant, les 29 et 30 juin et le 1er juillet 1770, les anciens pensionnaires du Roi, expulsés de leur belle demeure, furent entassés dans des chariots pour être emmenés loin de la capitale. Ce ne fut pas sans cris, sans protestations de leur part. Il y eut des scènes émouvantes : « Un des chariots chargés de

  1. Mémoires de Saint-Germain, passim.
  2. Ibid.