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décernant au seul mérite ce que jusqu’à ce jour on accordait à la faveur. « Les hommes, déclarera-t-il, ne peuvent se donner à eux-mêmes les talens ; il faut donc les chercher là où la nature les a placés. » C’est, comme j’ai dit plus haut, en vue de protéger les pauvres contre l’accaparement des riches, qu’il fera de louables efforts, — non pour détruire d’un trait de plume, ce qu’il juge impossible, — mais du moins pour restreindre et pour supprimer graduellement, par des rembourse-mens partiels, le système scandaleux de la vénalité des charges militaires, le trafic au grand jour des régimens, des compagnies, des emplois dans l’état-major. Aux termes de son ordonnance du 25 mars 1776, tous les offices se trouveront libérés, à la quatrième mutation à partir du décret. Quant aux charges vacantes, aucune ne sera plus « vendue, achetée ou financée, par quelque motif et sous quelque prétexte que ce soit, » l’intention de Sa Majesté étant « de ne pas souffrir que, dans tout le [cours de son règne, il se donne dans ses troupes aucun emploi à prix d’argent. » Faut-il dire que, deux ans plus tard, au mois de février 1778, sous le successeur immédiat du comte de Saint-Germain, quarante offices de capitaine étaient publiquement mis en vente, avec la permission du Roi ?


Une opération plus durable fut le règlement relatif à la nomination des colonels et à leur avancement. Ici l’abus était flagrant. A l’avènement de Saint-Germain, pour 163 rëgimens on compte près de 900 colonels. Sur ce chiffre, 200 à peine font un service actif ; les autres demeurent sans emploi, ou n’occupent que des places fictives. C’est qu’en effet, à ceux qui ont des appuis à Versailles, on donne un régiment, comme on donne une pension ou une bonne sinécure. « Un jeune homme de naissance, disait déjà le maréchal de Saxe[1], regarde comme un mépris que la Cour lui fait, si elle ne lui confie pas un régiment à l’âge de dix-huit ou vingt ans. » Le vainqueur de Fontenoy signale le grave danger de laisser des corps importans à la disposition « d’enfans qui sortent du collège, » incapables de commander, « portés par leur jeunesse à des choses absolument contraires au service militaire. » Depuis ce cri d’alarme, les choses n’avaient que peu [changé. Les colonels à

  1. Traité des légions.