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Deffand. Et Mlle de Lespinasse renchérit en ces termes : « C’est un homme de mérite ; c’est un homme isolé. Il est arrivé là, sans intrigue. On doit croire qu’il ne voudra que le bien. » Voltaire lui-même renonçait à ses répugnances contre un officier général qui avait débuté par être « six ans jésuite » et convenait que, somme toute, « il y a d’honnêtes gens partout. »

La Reine, sans le connaître et sans avoir pris part à sa nomination, l’acceptait de bonne grâce : « M. de Saint-Germain, écrivait-elle à sa mère, est établi ici avec l’applaudissement de tout le militaire, si j’en excepte quelques grands seigneurs qui craignent de ne pas trouver leur compte avec lui. » Enfin Louis XVI, plus que personne, ne pouvait guère manquer d’être bien disposé envers celui qui, persécuté, et presque chassé de France autrefois, par l’influence du parti Pompadour, recevait sous le nouveau règne la réparation éclatante due à sa probité sévère. Il avait lu d’ailleurs les « mémoires sur le militaire » rédigés en exil par le général disgracié ; il en avait goûté la franchise, la hardiesse, la rude indépendance, et les premiers conseils d’Etat tenus après l’installation du comte de Saint-Germain n’avaient fait qu’augmenter la bonne opinion qu’il avait de ses mérites professionnels. Il s’y joignit bientôt de l’estime pour son caractère. Il lui sut notamment bon gré de son raccommodement loyal avec le maréchal de Broglie. Jadis leurs démêlés avaient été publics ; c’était au maréchal que Saint-Germain imputait, en partie, sa disgrâce ; cependant, à la Reine lui demandant un jour où en était cette vieille querelle, il avait répondu : « Madame, ma mémoire ne me rappellera jamais ce que mon cœur a pardonné. » Ce mot, rapporté à Louis XVI, l’avait profondément touché[1].

La bienveillance royale, pour ces divers motifs, devenait promptement si marquée que, dans le populaire, couraient des bruits sans doute exagérés : « On entendait dire[2], d’après les nouvelles de la Cour, que le comte de Saint-Germain prenait si bien dans l’esprit du Roi, qu’on commençait à être persuadé qu’au cas où le sieur de Maurepas viendrait à manquer, il serait fort possible que Sa Majesté lui accordât la même confiance qu’Elle avait paru en avoir pour ce seigneur, depuis la mort de Louis XV. »

  1. Journal de Hardy, 6 janvier 1776.
  2. Ibid., novembre 1776.