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Grouchy. On va voir dans quelles circonstances : elles peignent une époque et un milieu. Cette fin du XVIIIe siècle était, comme on sait, fertile en « Affaires. » Après l’affaire Calas, l’affaire La Barre, et plusieurs autres, l’affaire des « Roués de Chaumont » apporta à l’année 1785 son lot de scandale, de sensiblerie et de fièvre révolutionnaire. Le bailliage de Chaumont avait condamné aux galères perpétuelles trois paysans, les nommés Bradier, Simarre et Lardoise, accusés d’avoir volé et maltraité le fermier Thomassin. L’affaire vint au Parlement de Paris sur l’appel a minima du ministère public. Le conseiller Fréteau, chargé d’instruire l’affaire, conclut à réformer le jugement pour irrégularités de procédure. Le Parlement ne fut pas de cet-avis ; il éleva la peine : les paysans furent condamnés à la roue. Fréteau ne lâcha pas la partie, et, sachant bien ce qu’il faisait, il communiqua son mémoire à son beau-frère Dupaty. Celui-ci, avocat général au Parlement de Bordeaux, s’y était rendu impossible par sa manie d’en user librement avec les lois qu’il était chargé d’appliquer. Il était le protecteur attitré de tous ceux à qui la police, la justice et autres autorités tracassières font des ennuis. C’était le « bon juge. » Ne pouvant le maintenir en province, on l’avait envoyé à Paris. On le déplaçait avec avancement. Mis en possession du dossier des trois paysans, il écrivit un mémoire justificatif où il ne releva pas moins de vingt-trois cas de nullité, et en appela au Conseil du roi de l’arrêt du Parlement de Paris. Après une série de péripéties que nous n’avons pas à raconter ici, le Conseil du roi cassa le jugement de Chaumont et renvoya les accusés devant le bailliage de Rouen qui les acquitta, en décembre 1787. Leur défenseur alla détacher leurs fers — en famille.

Quelques récits qu’on ait pu faire de cette scène touchante et larmoyante, aucun ne vaut celui qu’en adressait, peut-être à sa cousine de Grouchy, la fille du président Dupaty encore toute remuée du spectacle auquel on venait de la faire assister pour qu’elle en fût attendrie. Comment la lettre s’est-elle trouvée dans les papiers de Suard ? Je ne sais ; mais je me ferais scrupule de ne pas donner en son entier ce document incomparable, une merveille en son genre.