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d’abord promulguées contre ceux qui, en traitant des sujets tragiques, en avilissaient le sens mystérieux, avaient été exécutées, on n’aurait point souffert qu’Euripide eût peint tant de héros dégradés par l’adversité, tant de princesses égarées par l’amour, tant de scènes de honte, de scandale et de forfaits ; mais le peuple, déjà dégradé et voisin de la corruption, se laissait entraîner par ces tableaux dangereux, et lui-même courait au-devant de la coupe empoisonnée qui lui était offerte. C’est au charme même de ces tableaux, au talent avec lequel Euripide savait les colorer qu’on doit attribuer la décadence des mœurs athéniennes, et la première atteinte qui fut portée à la pureté de la religion. Le théâtre devenu l’école des passions et n’offrant plus à l’âme aucune nourriture spirituelle, ouvrit une porte par laquelle se glissèrent, jusque dans les sanctuaires, le mépris et la dérision des Mystères, le doute, l’audace la plus sacrilège et l’entier oubli de la Divinité. »

Merveille de l’art vivant, la tragédie nous est apparue comme la fleur du miracle hellénique et le dernier mot du génie grec. J’ai montré comment le mythe de Dionysos lui donna naissance, que les Mystères d’Eleusis inspirèrent ses chefs-d’œuvre, et qu’elle tomba dans une décadence rapide aussitôt qu’elle cessa de les comprendre. Une conclusion s’impose sur le rapport de ces deux institutions, conclusion qui nous ouvrira une perspective sur la vraie mission du théâtre et sur son possible avenir dans l’humanité.

La tragédie est, selon le mot d’Aristote, une purification (κάθαρσις) par la terreur et la pitié. Cette formule est parfaite dans sa concision. Seulement, elle demande à être expliquée. Pourquoi la terreur et la pitié, qui dans la vie réelle sont des impressions déprimantes, deviennent-elles dans la grande tragédie grecque des forces réconfortantes et purificatrices ? Parce qu’elles présentent au spectateur les épreuves de l’âme qui la rendent propre à l’assimilation des vérités consolantes et sublimes, en lui arrachant voile après voile. Sans la claire compréhension de ces épreuves, les affres de la terreur et l’élan de la sympathie demeurent impuissans. Mais la lustration de l’âme qui succède au frisson tragique, y produit une embellie où pénètrent les rayons d’une vérité et d’une félicité inconnues. Le but des Mystères d’Eleusis était de communiquer cette vérité elle-même à l’initié par l’expérience personnelle, par de clairs concepts