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— Alors, la voix intérieure disait au myste devenu voyant : « Un jour… peut-être… tu lui ressembleras… »

Nous venons de pénétrer au cœur du phénomène dionysiaque. De ce centre incandescent rayonnaient les autres phénomènes mystiques de vision et d’extase qu’on traversait par la discipline éleusinienne. De toutes ces expériences émanait la doctrine religieuse, qui, sous forme d’images parlantes et de puissans raccourcis, reliait la destinée humaine à la vie cosmique. Il s’agissait donc, non de théories abstraites, mais, comme le dit parfaitement Aristote, d’une philosophie expérimentale, émotionnelle, fondée sur une série d’événemens psychiques. Les fêtes périodiques d’Eleusis, qui se terminaient par des phénomènes d’un autre genre, que Porphyre a décrits, n’étaient que la mise en scène somptueuse, une transposition dramatique de ce que les mystes et les époptes avaient traversé individuellement dans leur initiation. Nous savons que le drame, représenté dans le temple, se terminait par le mariage symbolique de Perséphone avec le Dionysos ressuscité, union qui portait le nom de ἱέρος γάμος (hieros gamos) (mariage sacré). Il extériorisait en quelque sorte le phénomène intérieur déjà vécu par les époptes. L’initié avait voyagé dans l’autre monde en plongeant aux abîmes de sa subconscience. Dans ce Hadès, il avait trouvé les monstres du Tartare avec tous les Dieux : Déméter (la mère primordiale), Perséphone (l’âme immortelle) et Dionysos (le Moi cosmique, l’Esprit transcendant) évoluant vers la vérité à travers toutes ses métamorphoses. Maintenant il revivait ces choses agrandies par l’art, dans une assemblée d’âmes accordées au même diapason que la sienne. Quel éblouissement, quelle renaissance de découvrir en soi-même les puissances que l’univers visible nous dérobe sous son voile et d’en saisir le ressort ! Quel bonheur de prendre conscience de ses rapports intimes avec le Kosmos et de sentir comme un fil invisible monter de son propre cœur, à travers les autres âmes, jusqu’au Dieu insondable !

Comme toutes les institutions religieuses, les mystères d’Eleusis eurent leur floraison, leur maturité et leur déclin. Après les guerres médiques et les excès de la démocratie, ils se banalisèrent en ouvrant leur porte à la foule. On cessa d’exiger les épreuves sérieuses, la discipline s’affaiblit, les pompes extérieures finirent par remplacer l’initiation proprement dite, mais le spectacle réglé par les Eumolpides ne perdit jamais son