Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 7.djvu/660

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la nature) se jetèrent sur lui et le lacérèrent en sept morceaux, qu’ils firent bouillir dans un immense chaudron. Minerve-Pallas (la sagesse divine, née de la pure pensée de Zeus) sauva le cœur de Dionysos et le rapporta à son père. Zeus le reçut dans son sein, pour générer un nouveau fils, et foudroya les Titans. De leurs corps brûlans, mêlés aux vapeurs sorties du corps lacéré de Dionysos, est née l’humanité. Mais de la partie la plus pure de Dionysos, de son cœur, replongé et refondu dans le sein éthéré de Jupiter, naissent les génies et les héros. De lui naîtra aussi le nouveau Dionysos, dans lequel les âmes éparses dans l’univers reconnaîtront leur divin modèle. Ainsi le Dieu, morcelé dans l’humanité souffrante, retrouvera son unité radieuse en Dionysos ressuscité.

Par ces images parlantes, par ce rêve plastique, Orphée essayait de faire comprendre à ses disciples la double origine à la fois terrestre et céleste de l’homme, sous l’action des puissances cosmiques, la multiplicité de ses incarnations successives et la possibilité de son retour à Dieu dans une splendeur et une beauté sans tache. Telle la conception centrale de la doctrine des Mystères grecs. Comme une torche éclatante, allumée au fond d’une caverne tortueuse, en éclaire les parois obscures et les anfractuosités profondes, le mystère de Dionysos éclaira tous les autres mystères. Il effrayait les faibles, mais les forts y trouvaient le courage, la joie de la lutte, l’indestructible espérance. Des cultes somptueux, des philosophies lumineuses devaient naître plus tard de cette révélation. Nous verrons tout à l’heure la tragédie en sortir, armée de pied en cap, comme Minerve de la tête de Jupiter.

Ainsi se constitua, d’un côté, la religion publique des Olympiens ; de l’autre, la religion secrète des Mystères ; la première pour la foule, la seconde pour les initiés. Elles ne se contredisaient pas mais s’expliquaient réciproquement. La religion cachée était le dessous, l’organisme interne de la religion extérieure et celle-ci la surface colorée, l’expression plastique de l’autre sur le plan physique.

La légende, peut-être symbolique, peut-être réelle, raconte qu’Orphée eut le sort de son Dieu et mourut déchiré par les Bacchantes, comme son Dionysos morcelé par les Titans. Elles se seraient vengées ainsi de son amour persistant pour l’épouse unique, pour Eurydice, la morte aimée, et du même coup elles