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Pénétré de cette double révélation, Orphée se jura à lui-même qu’il ferait descendre les splendeurs d’Ouranos, avec tous ses Dieux, dans les chaudes profondeurs et dans les abîmes de cette nature, dont il contemplait, à ses pieds, les vallées sinueuses et le dédale verdoyant. Il lui sembla qu’ainsi les Dieux deviendraient plus humains et la terre plus belle. Orphée tenta cette œuvre. Il fut la lyre vivante et la bouche d’or, par laquelle le torrent des Dieux se déversa sur la Grèce en vagues dionysiaques, pour en faire le temple de la Beauté. Mais, pour accomplir son dessein, il eut à vaincre la férocité des rois Thraces et la horde dangereuse des Bacchantes-prêtresses.

Les Bacchantes furent les druidesses de la Thrace préhistorique. Elles adoraient un Dieu à tête de taureau, qu’elles appelaient Bacchus. La grossière idole de bois symbolisait les forces génératrices de la nature et l’instinct brutal. Elles lui offraient des sacrifices sanglans et le célébraient en rites luxurieux. Par la magie du sang et de la volupté, elles séduisirent les rois barbares et les soumirent à leur culte lubrique et cruel. Orphée les dompta à force de charme, de mélodie et de grâce. Aux Bacchantes fascinées, aux chefs barbares adoucis, il imposa le culte des Olympiens. Il leur enseigna les Dieux du ciel : Zeus, Apollon, Artémis et Pallas. Il leur parla de Poséidon, le roi de la mer et des tempêtes, et de Pluton, le juge sévère des morts, qui règne dans le Tartare. Instruit des hiérarchies divines, il mit dans le chaos des divinités helléniques l’ordre, la clarté, l’harmonie. Ce fut la religion populaire.

Mais à ses disciples, à ses initiés, Orphée enseigna des choses plus profondes et, plus émouvantes, — les merveilles cachées de Dionysos ! Dionysos, leur disait-il, est le Bacchus céleste, le générateur puissant qui traverse tous les règnes de la nature pour s’incarner et s’accomplir dans l’homme. Et, pour mieux leur faire comprendre sa pensée, il leur racontait une histoire, un songe qu’il avait eu : « Zeus, sous la forme du serpent astral, s’était uni à l’âme du monde, conçue comme la Vierge incréée et appelée du même nom que Perséphone (Korè). Leur enfant divin, destiné à la domination universelle, portait le nom de Dionysos-Zagreus, ou Dionysos déchiré et morcelé. Un jour, l’enfant divin se regardait dans un miroir et restait perdu dans la contemplation de son image charmante. Alors les Titans (les élémens déchaînés ou forces inférieures de