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poussière. Tout autre était le sentiment du Grec, en face du monde vivant. Ni la grossière idole pélasgique, ni le mot abstrait de nature ne peuvent nous donner une idée des sensations submergeantes qui envahissaient l’âme de l’Hellène au seul nom de Déméter. Ce n’est pas seulement la nature avec ses figures visibles, c’est tout le mystère de sa puissance créatrice et de ses perpétuels enfantemens que le nom sacré éveillait en lui. Il retentissait dans son cœur comme l’écho d’une voix sonore dans une caverne profonde et l’enveloppait corn me l’onde d’un fleuve. Déméter, c’était cette puissance qui revêt l’écorce terrestre de son luxe de verdure ; Déméter animait de sa vie les légions nageuses de la mer ; Déméter céleste, fécondée par Ouranos, luisait même dans le ciel étoile aux millions d’yeux. N’était-elle pas la mère universelle et bienfaisante ? Et l’homme avait le sentiment d’être le fils légitime de cette mère. Ne lui avait-elle pas donné les fruits de la terre et le grain de blé ? Ne lui avait-elle pas enseigné avec la chaîne des saisons les rites de l’agriculture et les saintes lois du foyer ? Le culte de Déméter remonte aux temps primitifs de la race aryenne, où les trois courans aujourd’hui séparés, la Religion, la Science et l’Art n’en formaient qu’un seul et agissaient sur l’homme comme une même puissance. Cette puissance unique traversait alors l’âme humaine comme le torrent de la vie universelle et lui donnait le sentiment de sa propre vie totale. Civilisation unitaire, où tous les pouvoirs se joignaient dans la religion. Cette religion répandait ses rayons sur toutes les manifestations de la vie. Cette religion était forte, car elle donnait des forces et créait des formes. La Religion et l’Art ne constituaient qu’un seul tout, car l’Art était le culte et vivait avec sa mère, la Religion. Et cette Religion agissait puissamment sur les hommes ; elle était faite de telle sorte qu’à la vue de ses rites, à la voix de ses prêtres, la science des Dieux s’éveillait dans le cœur des hommes. Voilà pourquoi, lorsque le Grec primitif déposait une gerbe de blé ou une couronne de fleurs sauvages sur l’autel de Déméter, sous un ciel lumineux, il éprouvait la joie d’un enfant que sa mère prend sur ses genoux, qui s’abreuve d’amour dans ses yeux et boit la vie dans sa caresse frémissante et douce.

Mais le Grec primitif savait aussi que de cette grande Déméter était née une fille mystérieuse, une vierge immortelle. Et cette fille n’était autre que l’âme humaine, descendue de la