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papier. A cet égard, je l’avoue, je ne’ suis pas très, pressé de te voir aborder l’idée dont lu m’as dit un mot ; je placerais volontiers l’Egypte entre deux… »


A Armand du Mesnil.


(Vichy, juillet 1870).

Marie ne s’ennuie pas, et, chose extraordinaire, moi non plus. Je suis seulement dans une stupidité sans exemple, et je m’y résigne. J’ai trouvé ici deux ou trois volumes de Heine qui font mes délices et un peu mon tourment, car il m’est bien difficile d’admirer quelque chose dans cet ordre-là sans avoir le désir d’en faire autant et le chagrin de ne le pouvoir. Je parle de son livre de Lutèce et du volume de la France, qui sont des œuvres de toute force quand on les lit avec un peu d’ardeur.

Même vie : promenade après la douche au bord de l’Allier, théâtre et casino le soir.

Je corrige en ce moment les épreuves de Dominique[1]


Armand du Mesnil réplique : « Heine, dont tu me parles, est, en effet, très séduisant : il a de la pénétration, il gouaille et il est ému, il a une manière de dire, de voir et de faire voir qui est à lui. C’est du Voltaire et du Diderot fondus, avec un accent emprunté à cette Allemagne d’autrefois que nous avons aimée, l’Allemagne d’avant la Prusse. Quant à en faire autant, c’est autre chose. Tu n’as imité personne ni dans ta peinture, ni dans tes livres, et tu n’as rien à prendre à personne ; c’est ce dont tu dois te bien persuader. Ne cherche nulle part ni un style ni des inspirations : tu es toi, et tu aurais tout à perdre en voulant te transformer ici ou là. Tiens cela pour certain et permets-moi d’insister là-dessus. Tu sais ce que tu vaux, mais, par instans, il semblerait que tu l’oublies et que tu te préoccupes de chercher de nouveaux titres ; c’est un souci que tu peux t’épargner. Ton dernier livre est excellent, je ne m’y suis pas trompé dès la première heure ; c’est le livre d’un homme qui sait voir profond, qui sait penser, qui dit juste avec abondance, avec variété, sans rien de lâche ni de superflu, qui sait colorer sans brusquerie de ton ; c’est le livre d’un homme comme il faut, d’un peintre et d’un écrivain. Quand, en peinture, dans un certain domaine, on a des imitateurs et qu’on n’a pas encore trouvé de rivaux : quand on a écrit Dominique, le Sahel, le Sahara et les Maîtres d’autrefois, on peut avoir légitimement

  1. Nouvelle édition du roman, à la librairie Plon.