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A Monsieur XXX.


(Saint-Maurice), octobre 1875.

… Imaginez-vous qu’hier j’ai revu ici, chez moi, entrant comme un revenant, mon vieil ami de jeunesse, l’Olivier de Dominique. Il y avait vingt-sept ans que nous ne nous étions vus. Nous ne nous sommes [reconnus ni l’un ni l’autre, bien qu’il me cherchât et qu’il se nommât. J’ai été heureux, lui aussi, et très émus tous les deux. Il a quitté la Vendée, vendu toutes ses terres, et s’est retiré pour mourir en paix, m’a-t-il dit, au fond de la Bretagne, en Finistère, en pleine forêt, dans un château qu’il a reconstruit, mais auquel il laisse son nom celtique et son titre de manoir.

Il n’y est pas tout à fait seul. — Il n’a jamais été tout à fait seul, mon Olivier. Toujours le même ; mais c’est la même solitude morale. Au fond, le même ennui, la même douceur élégante et désabusée, finalement la même idée fausse de la vie. Il est devenu gourmet, il a la goutte, ne monte plus guère à cheval, et tire des bécasses dans son parc, une béquille d’une main, un fusil de l’autre. Il m’a raconté bien des drames récens, et parait, selon son habitude de grande réserve, avoir oublié nos drames anciens…


A Monsieur Charles Busson.


Saint-Maurice, ce 5 novembre (1875).

Cher ami,

Ici, rien de brillant. Nous partons dans huit ou dix jours, et c’est déjà bien tard. Deux mois sur trois, j’ai écrit ; j’ai un gros cahier, dont je n’apprécie pas très nettement ni la nouveauté, ni la valeur, ni le vrai mérite : j’ai peur que ce soit bien médiocre. J’attends, pour me fixer, mon arrivée à Paris et des yeux frais. Dans tous les cas, il y a certainement le rudiment d’un livre, si le livre n’y est pas ; et cela se retouche, se reprend et se rature avec moins d’inconvéniens qu’un tableau.

Je ne me suis guère distrait, j’espère cependant n’être pas trop fatigué…

Je vais rentrer à Paris, comme on sort d’un puits de mine, ayant pendant trois mois oublié les bruits de la vie et perdu l’habitude de mes semblables. Si j’étais plus content de moi, je