Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 7.djvu/608

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tâche, je t’en prie, que nous voyions cela ensemble. Je te mènerai aux bons endroits, t’épargnerai beaucoup de temps, et j’ai déjà fait un petit travail d’élimination, de choix, je dirai de découverte, dont j’aimerais bien à te faire profiter.

Tu verras surtout combien il est bon de vérifier les jugemens de l’opinion des foules. Il y a telle grande renommée qui ne grandit pas beaucoup à l’examen minutieux de ses œuvres. Telle autre, au contraire, prend des proportions tout à fait imprévues. Tu verras ici des hommes énormes, dont nous ne connaissons en France que le nom ; ceci est extrêmement instructif et passionnant. Somme toute, je crois que, si tout va bien, nous serons ravis.

Les dernières nouvelles de France nous ont beaucoup préoccupés ; celles de ce matin (journaux italiens) sont un peu plus rassurantes.

Je te parlerai du trajet de Bâle à Milan : la Suisse de Lucerne nous a véritablement enchantés, et il y a dans le haut Saint-Gothard, d’Andermalt à Aïrolo, deux ou trois spectacles de nature incomparables. J’ai vu des choses autrement belles, rien ne m’a jamais plus frappé. Si, par hasard, vous prenez cette route, je te recommande, une heure avant le col, la haute vallée et le village de l’Hôpital. (Note que personne n’en parle, aussi quelle surprise ! )

Adieu, je succombe et je ruisselle. Marie dort, Busson m’a dit de t’embrasser, il est à dormir.

Nous attendons quatre heures pour remonter dans notre gondole, je me sens idiot. Nous nous unissons, cher vieux frère, pour l’embrasser du fond du cœur, et nous vous attendons.

EUGÈNE.


Au moment où cette lettre parvenait à son destinataire, la guerre avec la Prusse éclatait. Nos désastres, les horreurs de la Commune, bouleversèrent Eugène Fromentin. Il se remit enfin au travail…

En 1875, il parcourt, au mois de juillet, la Belgique et la Hollande. Il y étudie les musées et les églises, il en rapporte des notes[1] d’où sortiront, dès janvier 1876, les Maîtres d’autrefois.

  1. Les lettres écrites de Belgique et de Hollande ont paru dans la Revue des Deux Mondes du 15 juillet 1908.