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presque assurance de vendre à l’avenir une bonne partie de mes tableaux. Enfin, ma médaille me donne le droit d’exposer à l’avenir sans passer devant le jury d’examen. Ces résultats acquis, je vais reprendre ma besogne à deux mains, à peu près comme si, pour la première fois de ma vie, j’entrais dans cette laborieuse lutte avec la palette. Jusqu’à présent, j’ai un peu escamoté la peinture, et sauvé mon ignorance par une certaine verve de brosse : il est temps de peindre en peintre. C’est ce que je veux apprendre d’ici le Salon prochain.

Et vous, mademoiselle Lilia, que faites-vous ? Je n’oublie pas que nous avons commencé presque ensemble la peinture, et que plus d’une toile que vous gardez chez vous aura été témoin de nos communes douleurs.

Il serait dommage, grand dommage de ne pas travailler quand même et de ne pas faire de la peinture dans la mesure où cela vous est permis. C’est bien douloureux, mais c’est si bon aussi !…

A vous, votre ami dévoué,

EUGENE.


A la même.


Paris, 5 décembre 1849, mercredi soir.

Mademoiselle Lilia,

Vous ne doutez point du plaisir que me font vos lettres et de celui que j’ai à me rapprocher de vous et à causer comme au vieux temps où vous avez consolé tous mes exils…

Je suis heureux du choix que j’ai fait[1], puisqu’il vous a plu et qu’il est du goût de vos amis et de Mme Bahut[2] ; je crois comme vous (c’est dans cette idée que je l’ai prise) que cette étude vous servira. Ce n’est point de la peinture très naïve, elle a sa manière aussi, mais elle a du charme, elle est franche d’exécution et d’une couleur étrangère, je crois, à vos traditions d’atelier.

Vous savez mon opinion là-dessus. Je ne me rappelle pas précisément le ton bleu dont vous parlez, mais ce que vous

  1. Cette lettre suivait l’envoi d’une étude du peintre Müller que Mlle Beltrémieux devait copier (Jeune fille au tambourin). — Louis Müller, né en 1815, élève de Gros et de Cogniet, entra à l’Institut en 1864.
  2. Élève d’Eugène Delacroix, Mme Babut, fixée à La Rochelle, avait formé à la peinture Mlle Beltrémieux.