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féconde à jamais. Et cette nouveauté, cependant, n’a rien de paradoxal ni d’inquiétant. Elle répond en nous à une attente, exauce je ne sais quelle confuse espérance. Volontiers même, après coup, tant est vive l’impression de vérité, on croirait reconnaître ce que l’on découvre, comme si toujours on l’avait obscurément pressenti, dans une pénombre mystérieuse, à l’arrière-plan de la conscience.

Après cela, sans doute, chez d’aucuns, les difficultés, les incertitudes reparaissent, et même parfois les objections décidées. D’abord séduit par une sorte de charme étrange, il arrive qu’on se reprenne, au moins qu’on hésite. Tout cela, au fond, demeure si nouveau, si imprévu, si éloigné des conceptions familières ! C’est un flot de pensée jaillissante pour lequel n’existent pas en notre esprit de ces canaux tout creusés d’avance qui font que l’on comprend sans peine. Mais que finalement chacun de nous donne ou refuse une adhésion totale ou partielle, tous, du moins, nous avons reçu un choc fécond, subi une secousse intérieure, aux longs retentissemens ; le réseau de nos habitudes intellectuelles est rompu ; en nous désormais travaille et fermente un levain nouveau ; nous ne penserons plus comme autrefois ; et, disciples ou critiques, nous ne pouvons méconnaître qu’il y ait là un principe de rénovation intégrale pour l’antique philosophie et pour ses vieux problèmes agités depuis tant de siècles.

D’une œuvre si originale, on ne saurait évidemment noter en un bref article tous les aspects, toutes les richesses. Encore moins pourrai-je ici répondre aux multiples questions qu’elle soulève. Détail technique des discussions nettes, serrées, pénétrantes ; exactitude et ampleur de la documentation empruntée aux sciences positives les plus diverses ; finesse merveilleuse de l’analyse psychologique ; magie d’un style qui sait évoquer l’inexprimable : il faut bien que je me résolve à n’en dire qu’un mot rapide. La solidité de la construction ne se verra donc point dans ces pages, non plus que son austère et subtile beauté. Mais de cette philosophie nouvelle, ce que je voudrais au moins faire entrevoir, comme en raccourci, c’est l’idée directrice, le mouvement d’ensemble. Dans une telle entreprise, où le but est de comprendre plus que de juger, la critique doit céder la première place. Mieux vaut tenter l’effort de descendre sympathiquement au cœur de la doctrine pour en revivre la genèse,