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encore, à quelques jours de là, lors d’une visite de Joseph II chez Mme de Brienne, la duchesse de Gramont, sœur du duc de Choiseul, « ayant fait tomber le discours à plusieurs reprises sur son frère, » en disant à l’Empereur qu’il « viendrait dans peu à Paris et qu’il serait très empressé à lui faire sa cour, » le prince ne répond rien et tourne les propos sur la pluie et le beau temps, » ce dont la duchesse de Gramont se montre « extrêmement mortifiée[1]. »


V

Circonspect sur les choses d’Etat, Joseph prend sa revanche avec les questions de personnes et les détails de vie privée. Après les premiers jours employés à se renseigner, à observer ce qui se passe, il se laisse aller peu à peu à sa manie critique, à son esprit frondeur, à son goût de morigéner. C’est sa sœur, la plupart du temps, qui sert de cible à ses sarcasmes, à ses remarques ironiques, parfois à ses coups de boutoir. Il censure ses manières, ses propos, ses dépenses, son penchant pour le luxe ; il lui reproche durement la société qu’elle s’est choisie et « l’entourage de ses valets[2]. » Il court dans le public des mots piquans qu’il a, dit-on, décochés à la Reine, comme le jour où, celle-ci le consultant sur sa coiffure surmontée d’un panache de plumes : « Je la trouve bien légère pour porter une couronne, » aurait-il répondu.

Elle supporte ces flèches, pendant les premiers temps, avec une patience méritoire, mais non toutefois sans témoigner qu’elle en ressent la pointe. « L’Empereur est toujours le même, écrit-elle à sa sœur. Il fait des observations très justes sur tout ce qu’il voit et donne des conseils comme personne n’en sait donner. Des fois, il faut l’avouer, il y met une forme un peu brusque. » Mais à mesure que le séjour s’avance, ces attaques répétées l’énervent, l’irritent davantage ; elle lui reproche, non sans raison, de « pousser la franchise jusqu’au défaut de courtoisie ; » plus d’une fois, à présent, il s’élève de « petites querelles, » que suivent « de légères bouderies. » Joseph continuant de plus belle, l’heure vient enfin où la Reine se fâche tout à fait et demande nettement à son

  1. Lettre du prince X. de Saxe du 30 avril 1777. — Archives de Troyes.
  2. Journal de l’abbé de Véri. — Passim.