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effet de ce voyage, confie-t-elle à Mercy. Si je ne me trompe pas, il s’ensuivra une de ces deux choses : ou ma fille gagnera par ses complaisances et agrémentera (sic) l’Empereur, ou bien il l’impatientera en la voulant trop endoctriner. » De ces deux hypothèses, elle croit, ou feint de croire, la première plus probable : « Il aime, reprend-elle, à plaire et à briller. Je crois que, jolie et agaçante comme est ma fille, mêlant de l’esprit et de la décence dans la conversation, elle remportera son approbation, et il en sera flatté[1]. » Le voyage, dans ce cas, deviendrait inutile, peut-être même plus nuisible que profitable.

Pour remédier à ces inconvéniens divers, le prudent et subtil Kaunitz s’avise de dicter à l’Empereur tout un plan de campagne, qui n’est pas dénué d’habileté : « Qu’en arrivant[2]il dise avec cordialité à sa sœur et à son beau-frère : Je ne viens ici que pour donner à tous deux, par la visite que je vous fais, une marque de ma bonne et sincère amitié. Qu’à tous deux, ainsi qu’à leurs ministres, il ne parle d’aucune affaire, ni domestique ni autre, à moins qu’ils ne lui en parlent les premiers. Pour ce qui est de la Reine, quoi qu’il puisse voir pendant son séjour, qu’il ne lui dise rien du tout, jusqu’au moment où il prendra congé d’elle ; mais qu’il lui dise alors : Je ne vous ai pas dit un mot, ma chère sœur, pendant tout le temps que j’ai passé ici avec vous, sur ce qui vous regarde, parce que je n’ai pas voulu vous mettre dans le cas de supposer que je veux me mêler de vos affaires. Mais je crois devoir vous dire amicalement ma pensée à cet égard, à présent que je suis sur le point de vous quitter. » Suit tout un modèle de harangue, remplie de bons conseils, d’exhortations à la sagesse, du ton le plus attendrissant, de la plus vertueuse éloquence.

Dûment endoctriné, Joseph promet tout ce qu’on veut, et le prince de Kaunitz s’empresse, d’en informer son ambassadeur à Paris : « Je vous prie d’aller dire de ma part à la Reine que l’Empereur ne vient à Paris que pour avoir le plaisir de la revoir et d’établir une bonne et sincère amitié personnelle entre lui et le Roi son époux, qu’elle peut être assurée qu’il ne lui parlera d’aucune affaire quelconque, ni domestique, ni autre, à moins qu’elle ne lui en parle, et qu’il serait utile qu’elle prévînt

  1. Lettres des 31 octobre et 30 novembre 1766 et 3 février 1777. — Correspondance publiée par d’Arneth.
  2. Lettre du 1er janvier 1777. — Correspondance publiée par Flammermont.