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compliquée et aggravée au Maroc au point qu’on a pu y croire notre intervention armée indispensable. L’était-elle réellement autant qu’on l’a dit ? Quoi qu’il en soit, nous sommes sortis, en l’exerçant, des limites qui nous avait été fixées à Algésiras et que l’arrangement de 1909 n’avait pas déplacées. L’opinion, très imprudemment à notre avis, a poussé chez nous à la marche sur Fez ; il fallait, dès ce moment, en prévoir les conséquences qui étaient la nécessité, nous ne dirons pas comme M. Jaurès l’obligation morale, mais la nécessité matérielle de donner ailleurs qu’au Maroc quelque chose à l’Allemagne. On ne veut pas du mot compensation, qui est pourtant le seul qui convienne ; on n’aurait pas voulu non plus que la compensation fût territoriale. Nous reconnaissons que certaines conséquences de notre politique sont pénibles pour nous, cruelles même, mais nous ne voyons pas comment, au point où nous en étions venus, il aurait été possible d’y échapper.

Sans doute les négociations ont été parfois mal conduites ; sans doute il y a des malfaçons dans le traité ; sans doute il aurait été préférable de tout régler dans le présent et de ne laisser rien en suspens dans l’avenir. On aurait pu faire mieux si on avait été plus fort ou plus libre. Mais, bien qu’incomplète, l’œuvre accomplie est considérable : notre protectorat, quoi qu’on en dise, est bien un protectorat véritable, muni de ses organes essentiels, capable de vivre enfin, c’est-à-dire de se développer et de s’affermir. Il lui manque seulement, comme l’a fait remarquer M. Ribot, d’être consenti par le Sultan, ce qui n’est qu’une formalité, mais une formalité, qu’il faut remplir. Notre protectorat, en effet, ne peut pas résulter d’un traité avec l’Allemagne ; il ne peut avoir de base légitime que dans un traité avec le souverain territorial. Après quoi il faudra pacifier le Maroc, y faire des chemins de fer, l’organiser en vue de l’exploitation économique. M. Méline s’est montré soucieux de tous ces points, et il a eu bien raison de l’être ; il a demandé des explications au gouvernement, qui a promis de les lui donner et qui les lui donnera certainement avec bonne foi ; mais le gouvernement ne sait guère mieux que M. Méline lui-même ce que nous coûtera notre protectorat, soit militairement, soit financièrement, soit administrativement, et les promesses qu’il fera à ce sujet, les engagemens qu’il prendra, les perspectives qu’il ouvrira à nos yeux ne seront de sa part que des espérances destinées à être suivies, au moins au début, de quelques déceptions de la nôtre. En réalité, nous sommes au commencement d’une grande et longue affaire et, malgré les progrès