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curiosité de lui demander quelle opinion était vraiment la sienne, celle d’hier ou celle d’aujourd’hui. Superbe, il a répondu : Celle de demain. Cette bouffonnerie oratoire aurait pu, tout autre jour, provoquer des trépignemens d’enthousiasme. Pourquoi, ce jour-là, soulève-t-elle des protestations indignées ? Tels sont les hasards de la vie publique.

Qu’est-ce qu’un ministre qui n’est plus ministre ? Rien ? Vous exagérez. D’abord, quand on a été ministre, on peut le redevenir. Le personnel gouvernemental est fort restreint ; en un certain sens, c’est une élite. Ce sont les mêmes que nous voyons sans cesse revenir au pouvoir, comme les figurans de cirque : ils ont seulement des attributions différentes, n’ayant pas d’aptitudes spéciales. Ensuite, oubliez-vous la presse ; ? Entre la politique et la presse les échanges sont continuels, et elles se repassent bénévolement leurs éclopés. Justement il a été, dans les actes précédens, beaucoup parlé de la fondation d’un grand journal. C’est un des traits de nos mœurs : il y a toujours en préparation, sur le pavé de Paris, un grand journal, plus grand, mieux informé et surtout plus « indépendant » que tous ses aînés. Pour réaliser ce vaste projet, il faut de gros capitaux. Mais on en trouve toujours. Cela est même très digne de remarque. Dans un pays où les capitaux sont si timides, où tant d’entreprises industrielles périclitent et tant d’œuvres charitables languissent, faute d’un peu d’argent qui consente à s’y aventurer, comment se fait-il qu’on trouve indéfiniment des amateurs pour subventionner, à fonds perdus, des journaux et des théâtres ? Quelle sorte de compensations offrent ces commandites, généralement désastreuses ? Mais revenons à la pièce de M. Capus. Ce sont les « favorites » qui ont poussé leurs protecteurs à faire les fonds du futur journal. Il paraît qu’elles aussi y ont intérêt. Le deuxième acte nous avait introduits dans l’antichambre d’un ministère. Le troisième ouvre devant nous l’intérieur d’un grand journal parisien : Ciel et Terre. C’est plein de dames, et de dames excessivement élégantes, un grand journal parisien en 1912. C’est même ce qui le caractérise. Je dois à la vérité de dire que ce grand journal ne ressemble, ni de près ni de loin, à ceux que je connais. Mais je ne les connais pas tous, et il y en a, comme le Journal des Débats, qui ont pu beaucoup changer depuis que je n’y vais plus. Au reste, ce n’est pas moi qui reprendrai Alfred Capus sur la topographie parisienne.

Bourdolle est devenu le directeur de Ciel et Terre. Bien entendu, il y a tout de suite installé Luce Brévin, qui d’ailleurs ne manque pas