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masse ayant profité davantage que les privilégiés de l’argent, il semble qu’il y ait eu de ce chef quelque nivellement des jouissances. Cependant, si dans les campagnes, dans les petites villes, le salaire depuis cent ans a haussé plus que le loyer, il n’en est pas de même à Paris, où jusqu’ici, en bien des maisons populaires, le loyer a augmenté plus que le confort.

Entre le riche et le pauvre, au point de vue du logement, il subsiste beaucoup plus de distance qu’il n’y en a au point de vue de l’alimentation ou du costume. Pourrait-il en être autrement ? Maintes fois, à l’occasion d’études précédemment publiées par la Revue, j’ai été accusé de dureté ; des critiques charitables m’ont reproché d’ignorer la misère, parce que je refusais de me payer de rêves, de beurrer de sensibilité quelques tartines banales qui ne coûtent rien et ne servent à rien. Les faits, les lois que révèle l’histoire économique ne sont point mes faits, mes lois ; ce n’est pas ma faute s’ils sont inexorables. Les Parlemens d’Europe sont pleins de gens qui s’imaginent augmenter le bien-être en majorant le taux des salaires, sans se préoccuper d’abord de multiplier le nombre des côtelettes. On ne saurait assez dire combien cette prétention est ridicule.

Pour faire baisser les loyers ou pour améliorer les logis, il faudrait multiplier les maisons populaires. Cette multiplication est-elle possible ? Si impuissante en général à augmenter la production, l’intervention de l’Etat, des communes pourrait-elle être, exceptionnellement, efficace en ce domaine ? Je le crois, mais par une voie où jusqu’ici l’on se refuse d’entrer. A Paris, l’argent rapporte 10 pour cent net et davantage lorsqu’il sert à loger les pauvres, et seulement 4 ou 4 1/2 pour cent lorsqu’il sert à loger les riches ; en d’autres termes, le loyer des maisons populaires procure un revenu plus que double de celui des maisons bourgeoises. Notre territoire est couvert de sociétés excellentes ayant pour objet la création d’habitations à bon marché ; ce qui manque… ce sont les fonds.

En attendant de bâtir, on a légiféré : les hygiénistes ont déterminé le cube d’air minimum auquel chaque créature parisienne avait droit, et il a été défendu de bailler des locaux qui ne contiendraient pas ce cube d’air par rapport au chiffre des locataires. Le résultat obtenu par ces législateurs bienfaisans est de jeter sur le pavé les familles nombreuses et pauvres, qui n’ont pas moyen de payer des logis réglementaires. Repoussés