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d’Héraclite, de Pythagore et de Platon. Or l’âme grecque manifestée en ces grandes individualités ne s’explique ni par le sol, ni par la race, ni par le moment, mais par les inspirations surhumaines qui vinrent la soulever. La Grèce décadente, qu’on nous donne trop souvent pour la vraie, n’est que celle des derniers temps, surface et poussière de son génie en décomposition. Comme tous les grands peuples, la Grèce eut dans sa période préhistorique une révélation religieuse adaptée à sa nature et à sa mission, révélation qui a laissé sa trace dans sa légende et dans ses institutions, source de lumière et de vie qui alimente ses chefs-d’œuvre et ne tarit qu’après les avoir enfantés. En un mot, derrière la Grèce qu’on voit, il y a une Grèce qu’on ne voit pas. Seule celle-ci explique la première, car ce fut elle qui la créa et l’organisa. Son secret se dérobe à nous dans ses Mystères, que défendaient le serment du silence et la peine de mort édictée par l’Aréopage contre ceux qui le violaient. Cependant les fragmens orphiques, les allusions de Platon, les traités de Plutarque[1], les indiscrétions des philosophes d’Alexandrie, les polémiques des Pères de l’Église, la topographie des ruines d Eleusis et leurs inscriptions caractéristiques nous permettent de nous faire une idée de l’essence et de la symbolique de cette religion secrète[2].

Entrons donc hardiment dans la pénombre des deux sanctuaires les plus vénérés de la Grèce, à Delphes et à Eleusis. Là nous apparaîtront deux divinités qui furent les deux pôles opposés de l’âme grecque et qui nous en donnent la clef, Apollon et Dionysos.

Apollon, le Dieu Dorien par excellence, inspirateur de la sagesse et de la divination, maître de l’individualité consciente et disciplinée, est le verbe solaire de Zeus conçu comme le

  1. Spécialement les quatre traités sur Isis et Osiris, Sur le El du temple de Delphes, Sur ce que la Pythie ne rend plus maintenant ses oracles en vers, sur les Sanctuaires dont les oracles ont cessé.
  2. La meilleure description des Mystères d’Eleusis, j’entends non de l’initiation personnelle donnée aux élèves des Eumolpides mais des fêtes célébrées annuellement au sanctuaire, se trouve dans la Symbolique de Kreuser, traduite et augmentée par Guigniaut sous ce titre les Religions de l’antiquité. — Voyez aussi le très remarquable travail de M. Foucart : Recherches sur l’origine et la nature des Mystères d’Eleusis, Mémoires de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, XXXV, 2e partie, publié à part chez Klincksteck, 1895, et l’excellente étude sur les Fouilles d’Eleusis, par M. Ch. Diehl dans ses Excursions archéologiques. — On trouve de vivantes descriptions de Delphes et d’Eleusis dans le récent et gracieux livre de M. André Beaunier, le Sourire d’Athéna.