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pénétration de l’esprit et de la matière, qui donnait des ailes aux athlètes d’Olympie comme à la parole de Platon. Aujourd’hui, les ombres sévères de l’ascétisme chrétien, le formidable échafaudage d’une civilisation fondée sur le machinisme et les constructions laborieuses d’une science matérialiste s’entassent et se dressent, comme d’infranchissables chaînes de montagnes, entre nous et la lumineuse Arcadie vers qui se tend un si nostalgique désir. Deux mille ans d’histoire nous cachent la Grèce sacrée, et nous avons perdu le secret de son ivresse divine, trempée de sagesse et de volupté subtile. D’autre part, nous sommes forcés de reconnaître qu’elle est toujours la moitié de nous-mêmes, puisque nous lui devons nos arts, nos philosophies et même nos sciences. Cela fait que le génie grec nous apparaît de plus en plus comme un prodige inexpliqué. Nous pouvons donc parler d’un miracle hellénique au même titre que d’un miracle chrétien, et rien ne symbolise mieux sa merveille à nos yeux que le mythe de Prométhée, l’audacieux voleur de la foudre, qui, en dérobant le feu du ciel pour l’apporter aux hommes, leur donna les arts, la science et la liberté.

Jusqu’à ce jour, les historiens ont cherché l’explication du miracle hellénique dans le pays et dans la race des Hellènes. Ces deux facteurs en furent certes les conditions indispensables. Si l’Europe semble une ramification de l’Asie, la Grèce, terminée par le Péloponnèse et entourée de ses îles, semble la branche la plus délicate et le bouquet fleuri de l’Europe. Golfes et caps, vallées ombreuses et sommets nus, toutes les figures de la montagne et de la mer s’y profilent et s’y emboîtent dans une harmonie savante, avec une sobriété pleine de richesse. On dirait les cimes abruptes et neigeuses de la Thessalie sculptées par les Titans. N’ont-elles pas été taillées pour être le trône des Olympiens, et les grottes tapissées de lierre du Cithéron pour recouvrir les amours des dieux épris des femmes de la terre, et les bois de myrte et les sources de l’Arcadie pour abriter les dryades et les nymphes ? Les plaines de l’Elide, d’Argos et de l’Attique n’attendaient-elles pas le galop des Centaures et les combats héroïques ? Les Cyclades, semées sur la mer violette comme des coquilles de nacre ou des fleurs rosées avec leurs franges d’écume, n’appelaient-elles pas les rondes des Néréides ? Le rocher de l’Acropole ne réclame-t-il pas tout seul le Parthénon avec la Vierge d’airain dont brille de si loin le