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brouillon ambitieux, qui, convoitant le contrôle pour lui-même, mais n’osant pas encore publier ses visées, comptait se voir choisi pour le second emploi.

Quant au premier poste, en effet, le titulaire était comme désigné d’avance. Louis-Gabriel Taboureau des Réaux, d’abord membre du Parlement, puis intendant de Valenciennes, aujourd’hui conseiller d’Etat, était de ces hommes probes, consciencieux et modestes, auxquels on songe, dans les temps difficiles, pour remettre de l’ordre au sortir du chaos et calmer par leur seule présence l’inquiétude des bons citoyens. Dans les dernières années du règne de Louis XV, « dès qu’il y avait un ministère vacant, dans quelque genre que ce fût, le public le nommait[1]. » Ces velléités, cependant, n’avaient jamais été suivies d’ellet, soit que l’on eût insuffisamment insisté, soit qu’il se fût alors dérobé à l’honneur. Dans tous les cas, sans ambition, un peu timide, de santé délicate, et « dénué de cette énergie qui enfante également les belles actions et les grands forfaits, » si Taboureau souhaitait un poste dans l’Etat, ce n’était assurément pas le contrôle général. « surtout dans la crise actuelle, exigeant ou l’heureux génie d’un patriote zélé ou l’âme atroce d’un scélérat intrépide[2]. » Malgré le désir de Maurepas et la pression de ses amis, malgré l’intervention du Roi, qui lui disait affectueusement : « Non seulement je le veux, mais le public le veut aussi[3], » il hésitait à charger ses épaules d’un fardeau si pesant. Même, assure-t-on, impatienté un jour par l’insistance indiscrète du Mentor, il se laissait aller jusqu’à lui adresser une mortifiante réponse ; comme il alléguait sa santé et que Maurepas lui objectait qu’il était encore jeune : « Monsieur le comte, répliquait-il au ministre septuagénaire, quand on a passé cinquante ans, on n’est plus guère propre aux affaires publiques. »

Pour triompher de ses refus, il fallut la promesse formelle qu’on le doterait d’un puissant auxiliaire, que l’adjoint désigné aurait « tout le pénible et le périlleux de la place. » Encore n’accepta-t-il qu’à titre provisoire, se réservant de s’en aller, si

  1. L’Espion anglais, tome IV.
  2. Ibidem.
  3. Lettre du sieur Rivière au prince Xavier de Saxe, du 23 octobre 1776. — Archives de Troyes.