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un déficit de près de vingt-quatre millions, le crédit public ébranlé, la confiance du peuple détruite, un commencement de soulèvement profond contre les réactions, tant religieuses que politiques dont on croyait discerner la menace. La situation extérieure ajoutait à ces inquiétudes une cause grave de soucis. La révolte de l’Amérique contre la domination britannique, l’appui non déguisé que l’opinion française prêtait aux Insurgens, l’irritation qu’en éprouvait le peuple d’Angleterre, laissaient prévoir, à bref délai, l’éventualité redoutable d’un conflit maritime, et l’obligation s’imposait de renforcer la flotte de guerre, nouvelle source de grosses dépenses. Comment, dans l’état du Trésor, faire face à cette charge écrasante ? Le mot sinistre de banqueroute courait déjà sur bien des lèvres. On se rappelait les procédés sommaires et déshonnêtes des dernières années de Louis XV. Des gens bien informés assuraient qu’il était question du rappel de l’abbé Terray.

Maurepas, mieux que personne, était au fait de ces difficultés. Malgré sa frivolité légendaire, il en était profondément troublé. Sa défiance instinctive de tout génie qu’il sentait supérieur au sien, le goût qu’il professait pour les médiocrités, étaient prêts à fléchir sous la pression des nécessités du moment. Il admettait surtout que l’état des finances exigeait un rapide, un énergique secours. Dans cette perplexité poignante, un expédient s’offrit à son esprit, propre à concilier, pensait-il, l’intérêt du royaume avec ses répugnances à se donner un maître. Ne pourrait-on couper par le milieu le département des finances, regardé par beaucoup comme trop vaste pour un seul homme, le partager en deux districts, gouvernés par deux chefs distincts et indépendans l’un de l’autre ? La partie administrative, la comptabilité, le contrôle des dépenses, toute la partie technique enfin, seraient confiés à un spécialiste éprouvé ; tandis que le Trésor royal, la direction supérieure des finances, la partie du service qui confine à la politique, recevraient l’impulsion d’un homme de plus large envergure, et que la barre du navire en détresse serait mise en des mains plus fortes. Ingénieuse conception, où Maurepas, écrit l’abbé Georgel, crut découvrir « une innovation admirable.) » L’idée, dit-on, lui en fut suggérée par l’ancien ami de Turgot, le sieur de Vaines[1], ce

  1. Voyez Au couchant de la Monarchie, tome I. p. 312.