Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 7.djvu/265

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une perception assez nette pour qu’il vaille la peine de les dire. Un tel travail suppose une forte culture, — tant vaut l’essayiste, tant vaut l’essai, — un choix heureux du sujet ; — si la matière traitée n’est pas importante, à quoi bon ces trente ou quarante pages ? — un point de vue surtout et de la portée. Il y faut l’art de la composition courte, le plus difficile ; le talent de discerner l’essentiel dans les questions et dans les personnes ; enfin un style qui supplée par sa vertu d’intensité aux sacrifices qu’impose une dimension trop serrée. Aussi le nombre des essayistes qui ont réussi ce difficile tour de force est-il assez restreint, et ils ne l’ont pas réussi toujours. Taine, Renan, Montégut, Planche, à l’occasion d’Adolphe, Sainte-Beuve avant les Lundis, Brunetière, tels sont, pour ne parler que des morts, quelques-uns des maîtres du genre. J’allais oublier J.-J. Weiss, ce génie si mal dirigé et si remarquable. Aucun d’eux n’a surpassé Vogüé par la richesse et la variété de la culture ; peu l’ont égalé par l’ordonnance de l’ensemble, l’art de la gradation et la qualité d’une langue si svelte, si nerveuse dans la force, d’un goût si sûr dans l’éclat. Je viens de prendre et de rouvrir, au hasard, un de ses recueils : Heures d’Histoire. Je suis tombé sur un morceau intitulé Images Romaines. Je l’indiquerai non pas comme son chef-d’œuvre, mais comme un exemplaire très réussi de son procédé : un début très simple, presque familier, qui précise avec une parfaite netteté le point de vue auquel va se mettre l’auteur, une définition très nette de l’objet qu’il se propose d’examiner, une vérité générale énoncée tout de suite et qui marque quelle sorte de démonstration il va tenter. Puis le développement commence, disert et souple, pour aboutir à deux ou trois pages qui font sommet : une description d’un tombeau à Sainte-Marie-du-Transtévère, dans la première partie ; dans la seconde, une évocation de la colonne Trajane. Ce tombeau est celui du cardinal Armellini. Il y est représenté endormi sur un livre qui emprisonne un de ses doigts. « Quelle fatigue d’avoir tant lu !… » dit Vogüé. Et c’est tout notre siècle dont il voit le symbole dans ce savant lassé jusqu’à l’agonie, et qui a voulu avoir pour épitaphe : Certè homo bulla est. Certes l’homme n’est qu’une bulle d’air ? Un baptême a lieu près de ce tombeau. « La frêle loque rouge gémissait de toute sa force naissante. Je n’entendis pas le nom que le prêtre lui donnait. Qu’importe ? Je le savais, ce nom. Lorsque Dante