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que fut Combourg pour Chateaubriand, le château de Gourdan. près d’Annonay, le fut pour Vogüé. Si ma mémoire me sert bien, Gourdan, que j’ai visité en 1870, n’a rien de commun avec le sombre manoir évoqué dans les Mémoires d’Outre-Tombe. C’est une demeure seigneuriale construite sur la fin de la monarchie, avec d’innombrables fenêtres, et qui révèle cette imitation de Versailles, un des fléaux de la noblesse française. Vogüé, quand il parlait de Gourdan, mentionnait toujours, parmi les causes qui en avaient rendu l’entretien trop lourd, la « folie des citernes, » comme il disait. Mais, entre un Combourg et un Gourdan, il y a parité de mélancolie, si l’adolescent, perdu dans les longs corridors et dans les vastes salles, retrouve partout le témoignage des difficultés matérielles où se débattent les siens, l’évident contraste entre les splendeurs d’autrefois et l’abandon d’aujourd’hui. La dédicace que lit Eugène-Melchior, de son premier livre à son ami de jeunesse, Henri de Pontmartin, porte la trace des songes qu’il a promenés sur les escaliers déserts de la vaste habitation ancestrale et dans les bois d’alentour. « Qui nous rendra, » s’écrie-t-il, « ces jeunes soirées, déjà si lointaines, nous nous passions au coin de mon feu, dans la vieille bibliothèque, à lire les poètes, mettant nos deux vingt ans ensemble, pour apprendre la vie et la parer de plus de rimes ? J’ai cru, plus d’une fois, m’appuyer sur votre bras, par les matinées de printemps, dans le petit chemin dont chaque pierre a gardé une de nos joies, un de nos mauvais vers, un de nos bons rires. Vous savez, le petit chemin qui monte entre les pins » de La Mûre, et que nous ne referons plus… » Une discrète et profonde plainte s’échappe des mots que j’ai soulignés, celle du descendant des fondateurs d’une terre, qui a dû se séparer de cette terre, céder à des étrangers la demeure associée à la vie des siens pendant des siècles, vendre les pierres et îles ombrages, les pierres dressées par les aïeux, les arbres plantés par leurs mains. La Sicotière rapporte, dans son livre, trop touffu mais si passionnant, sur ce héros malheureux que fut Louis de Frotté, le discours que tenait, au futur général des Chouans, un grand-oncle retiré près d’Alençon : « Mon ami, chaque arbre que je plante, c’est avec l’espoir que tu te reposeras sous son ombrage quand tu auras atteint mon âge, et que tu penseras quelquefois à ton vieil oncle qui te regarde et l’aime comme son enfant. Il est bien naturel, à ton âge, d’avoir le désir de voir le monde, et