Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 7.djvu/247

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

langage usuel caractérise si justement de tenue militaire. Combien il était dur pour lui-même, ceux qui l’ont vu travailler le savent. Il composait ses articles et ses livres, comme on fait campagne, en demandant à ses forces leur plein rendement d’énergie. Les surcharges de l’existence parisienne l’acculaient parfois à n’avoir qu’un temps bien limité pour écrire un dis cour-académique qui devait être prononcé à telle date, un essai pros mis à un prochain numéro de la Revue des Deux Mondes, une partie d’un roman déjà commencé. Vogüé se piquait d’honneur à ne jamais signer une page qu’il ne l’eût portée à son point de perfection. A l’approche de ces échéances, il cessait littéralement de vivre pour s’appliquer tout entier à son travail. Il n’ouvrait plus ses lettres, ne sortait plus, mangeait à peine, passait les nuits. Une semaine, deux semaines de ce labeur acharné, et le tour de force était accompli, la partie de roman était livrée, le discours était prononcé, l’essai avait paru dans la Revue. Vogüé avait exécuté, en quelques jours, une tâche qui eût exigé des mois. A quel prix ! Son départ prématuré n’a pas eu d’autre cause que ces continuels à-coups de travail auxquels ce descendant de soldats se complaisait. Oui, c’était un peu faire campagne, et quand sa plume, au cours d’un de ces dangereux paris engagés et gagnés avec lui-même, rencontrait un thème de guerre, il était visible qu’un autre emploi de son énergie le tentait toujours. Cet arrière-petit-fils des Grands Baillis d’Épée de sa province avait beau exceller dans l’art littéraire, avec quelle nostalgie, parlant des Commentaires du soldat du Vivarais, il évêque cet autre danger : « Sortir, le matin, de son donjon, pour aller couper la route à des cavaliers du parti contraire ; se retrouver, la nuit, pour appliquer des échelles aux murs de quelques bicoques !… » Comme il regrette secrètement « ces plaisirs, cette fonction de l’activité vitale, aussi naturelle à nos pères que la respiration !… » L’historien de l’Homme d’Autrefois, cet observateur très fin que fut Albert Costa de Beauregard, ne s’y trompait pas : il surnommait Eugène-Melchior, le Féodal. C’était là le fond intime et dernier de cette énergie dépensée dans des livres, et qui aurait tant souhaité l’action.

J’ai dit que les Vogüé étaient, en même temps que des gens de guerre, des montagnards ; il convient d’ajouter, et des montagnards cévenols. L’originalité de cet éperon du plateau central qui, par la chaîne du Coiron, pointe sur le Rhône, c’est qu’il