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Cependant M. Millerand eut la précaution de prévenir la Chambre qu’il se présentait devant elle au nom de « ses amis du groupe républicain socialiste, » lesquels, pour si gouvernementaux qu’ils soient, et même quoiqu’ils soient un peu au gouvernement en la personne de M. Victor Augagneur, ne sont tout de même pas le gouvernement. Mais, comme on ne voit guère comment il y aurait une opinion « républicaine socialiste, » ni, plus généralement, une opinion de groupe quelconque sur la convention congolaise, et comme on ne voit pas pourquoi M. Millerand eût parlé aux lieu et place de M. de Selves toujours en fonctions, il vaut mieux admettre qu’il parla tout bonnement au sien propre : en son nom seul, et il suffit. Il le fit d’ailleurs avec cette sobriété, cette brièveté, cette vigueur caractéristiques de son remarquable talent. Si j’ai pu dire que M. de Mun sculptait en quelque sorte un marbre, je pourrais dire de M. Millerand (en m’excusant de cet abus de la métaphore) qu’il découpe une plaque de métal. Ses phrases ont les contours tranchés, et quelquefois tranchans aussi, d’une tôle taillée à la cisaille : ce sont comme des silhouettes qui défilent sous les yeux. Il semble qu’on voie, de déductions en déductions, marcher et arriver à leur but ses idées rangées en bon ordre : sus argumens sont une armée qui ne connaît guère la défaite. M. Millerand se mit tout aussitôt dans l’esprit de son rôle : « Au cours de la période de tension de cet été, le pays a été unanime à observer une attitude qui doit être pour ses représentans un exemple et une leçon. Comme lui, c’est avec le plus complet sang-froid, sans se laisser aller à aucune excitation, sans écouter d’autres voix que celles de l’honneur national et de l’intérêt public ; avec la volonté surtout de montrer au dehors qu’en face des questions de politique extérieure il n’y a plus de partis, que la Chambre voudra poursuivre l’examen de l’accord. J’en ferai, pour ma part, une étude tout objective, sans prétendre remonter aux origines, sans m’ériger en censeur distribuant l’éloge ou le blâme, soucieux exclusivement de discerner les obligations et les droits que ces accords créent à notre pays. » Ensuite se développe la thèse : L’accord franco-allemand sur le Maroc sera ce que nous le ferons. « Tant vaudra notre action, tant vaudra l’accord. » Proposition qui s’achève en celle-ci, laissée sous-entendue : « Tant vaudra l’agent, tant vaudra l’action, » et c’est ici, sans nul doute, le point central du discours de M. Millerand. Dans son ensemble, et comme direction d’intention, « le premier devoir de notre politique extérieure est d’être réaliste. Mais c’est être réaliste, c’est l’être au sens le plus exact et le plus noble du mot, que nous