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ou, comme on doit dire à présent, un « cycle » de six mélodies ou lieder, avec accompagnement de piano. Voilà pour la désignation technique, ou générique. En d’autres termes, un peu moins secs, c’est un poème sonore, et tout simplement délicieux. Mais, au fait, il n’est pas déjà si simple, et le charme en est complexe autant que changeant. Il est formé, ce charme, d’élémens subtils, unis, ou plutôt fondus ensemble et qu’on ne saurait séparer. Les harmonies, originales et fines, tiennent de si près à la mélodie, que, pour les en détacher, il faudrait la déchirer elle-même. Le chant fleurit parmi les branches et les feuilles de l’accompagnement, ou plutôt d’une ingénieuse symphonie. Rien d’égal à la liberté du rythme et de la mesure, hormis la souplesse d’une ligne sonore que la moindre variante de la pensée, du sentiment, ou de la parole, infléchit. Tout cela, c’est de l’art le plus jeune, et tout cela se rencontre dans l’œuvre, — soit dit avec respect, — d’un « ancien. » Mais quelque chose aussi d’ancien se mêle à ces nouveautés et les tempère : c’est la sagesse, ou la raison, ou, plus familièrement, le sens commun, utile à la musique même et s’accordant, mieux qu’on ne le croit, avec le sens du rare et de l’exquis ; sens de la tonalité, de la modulation, du rythme, de l’harmonie ; sens de ce qu’il y a dans chacun de ces ordres divers, sous les changemens qu’on y peut apporter, de persistant et de nécessaire. N’oublions pas une belle formule de Gounod : « Jamais de bornes, mais toujours des bases. » Dans la nouvelle œuvre de M. Théodore Dubois, vous ne trouverez pas moins d’aplomb que dans les autres, mais vous y découvrirez plus de lointain. Enfin et surtout, vous y rencontrerez de la poésie, de la sensibilité, de l’émotion même, les notes les plus profondes de la tendresse et de la mélancolie. Çà et là des accens pathétiques viennent aviver, sans la rompre, la douceur de ces chants, tantôt fluides comme l’eau qui court, tantôt paisibles comme l’eau qui dort. Paysage, état d’âme, tout est compris, tout est exprimé. Lisez, lisez les Musiques sur l’eau.


Nous ne pouvons que signaler aujourd’hui la Bérénice de M. Albéric Magnard. Mais nous dirons un jour quelle épaisse et pesante musique y écrase le sujet et l’héroïne de la tendre élégie.


CAMILLE BELLAIGUE.