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Les roussalkas sont les mêmes jeunes personnes, mortes par amour et par submersion, devenues Ondines, et que willis on nomme sous d’autres cieux, je veux dire sous d’autres eaux. Elles dansèrent autrefois chez nous un ballet, resté célèbre, Gisèle. Ainsi Gisèle fut une Roussalka française, ou bien encore, la Roussalka, c’est la Gisèle de la Russie.

Plus précisément c’est l’histoire d’un jeune boïard amoureux delà fille d’un meunier. Comme il lui déclarait sa flamme, la comtesse sa mère, qui chassait dans les bois environnant, vint à passer près du moulin et surprit les amans. Altière et dure, la douairière somma son fils de la suivre. Alors l’abandonnée se précipita dans le Volga voisin. Changée en roussalka, elle revient désormais toutes les nuits danser avec ses compagnes sur la rive du fleuve. Le jeune homme, une nuit, y retourne lui-même et, l’ayant revue, il se laisse par elle entraîner sous les flots. Il y périt d’abord. Mais la reine des Ondines, cédant aux larmes de sa sujette, ranime l’amoureux transi, et lui rendant une vie aquatique, bénit les amours, maintenant immortelles, du roussalki et de la roussalka.

En paroles, cela ne dit pas grand’chose. En musique non plus. Il manque à la partition de ce ballet à peu près tout ce dont une partition de ballet a besoin plus qu’une autre : l’invention mélodique, rythmique surtout, la couleur instrumentale, et la fantaisie, et la poésie ailée. Au surplus, rien ici n’est détestable, ou méprisable seulement. Comme le bien, le mal y fait défaut. Non ragioniam di lor, ma guarda e passa. Tolstoï a raconté qu’un jour, — c’était un de ses jours de musicophobie, — il entra dans un théâtre de musique pendant une répétition. Et voyant quel effort, ou plutôt quelle somme d’efforts, et de tout genre, esthétique, matériel, un tel exercice comportait, l’écrivain se demanda : « Que fait-on ici ? Pourquoi travaille-t-on ? Et pour qui ? » Certes, les œuvres ne manquent pas, qui répondraient, bien haut et fièrement : « Pour qu’il y ait dans le monde plus de beauté, plus de joie. » Il existe d’autres œuvres, infiniment plus nombreuses, qui feraient une réponse plus modeste. Le ballet que l’Opéra vient de représenter appartient à la seconde catégorie.


Il nous plaît, en terminant, de vous recommander une autre musique des eaux. On sait que Haendel écrivit, sous le titre de Water-music, des symphonies de fête ou de gala, pour accompagner sur la Tamise les promenades royales. Dans un genre plus intime, M. Théodore Dubois vient de publier des Musiques sur l’eau. C’est un recueil,