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Et ces derniers mots donneraient à penser qu’on n’avait peut-être pas tenu la promesse.

La mesure, au sens non plus spécifique, mais général du terme, la mesure est partout gardée en Déjanire. Elle assure et fait harmonieux les rapports entre les élémens divers, entre les chœurs et les soli, entre la musique et la parole, entre l’orchestre et la voix. Que celle-ci déclame ou chante, les instrumens la servent et ne l’asservissent pas. Ils chantent avec elle et non pas sans ou contre elle. Plus d’un exemple montrerait l’heureuse alliance de la symphonie avec le récitatif ou le chant d’un personnage isolé, quand ce n’est pas [voyez la tumultueuse. approche de Déjanire, au premier acte] avec les rumeurs et les mouvemens de la foule. Cette musique, en tout efficace, l’est jusque dans le détail de la déclamation. « Que peu de temps suffit pour changer toutes choses ! » Il suffit aussi de peu de sons. Telle phrase d’Hercule : « J’ai dormi dans la fraîche rosée ; » quatre mots, parfaitement insignifians, de la suivante Phénice : « Alors Déjanire est venue, » autant de propos qui, parlés, ne sont rien, mais qui chantés, chantés à peine, deviennent quelque chose, et de délicieux. Chant, déclamation, orchestre, un orchestre qui lui-même tantôt déclame et tantôt chante, qui soutient la parole, qui l’exalte et l’échauffé, qui la précipite, à moins qu’il ne l’arrête et ne la brise, tous ces élémens combinés font des fureurs de Déjanire (fin du premier acte) un monologue éloquent. Les fureurs d’Hercule, par où le second acte s’achève, égalent au moins celles de son épouse. A travers le chœur superbe qui les suit, elles retentissent encore, mêlant une espèce d’horreur à la pitié du peuple pour le héros que torture l’amour. Puis elles s’éteignent, et maintenant c’est une prière, qui jaillit et s’envole de l’invective apaisée. Il n’y a pas de plus beau chœur dans la partition, mais tous les chœurs y sont beaux, emportés par un lyrisme robuste, héroïque, volontiers farouche, et digne, celui-là, qu’on le compare avec l’inspiration d’un Chénier.

Dans la Revue critique des idées et des livres, on rappelait dernièrement cette parole d’un grand peintre de France : « Les sens seuls, disait Poussin, ne doivent pas juger mes tableaux : il faut appeler la raison. » Elle est également le juge nécessaire des œuvres d’un Saint-Saëns et toujours elle décide en leur faveur. Cette musique, où rien de l’intelligence ne manque, la contente aussi tout entière. Elle vient de l’esprit et elle y retourne. M. Saint-Saëns n’a jamais cru, — lui-même l’écrivait un jour, — « que l’expression fût la