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entrevit aussi quelles ressources, quelles richesses tient en réserve-le rythme d’abord, et puis la monodie, qui n’est qu’une ligne, une seule, de sons. Ainsi tout en cette œuvre se conforme à la lettre de l’art antique. Mais une page au moins, délicieuse, en respire aussi l’esprit ou l’âme : c’est l’hymne à Eros, imité d’une chanson populaire que Bourgault-Du coudra y rapporta de Grèce, de sa Grèce bien-aimée : deux strophes, très brèves, que chante une voix seule, à laquelle, en trois mesures à peine, le chœur, pour conclure, répond. Là encore tout parait ancien et purement grec : le mode, les modulations, l’accompagnement d’une harpe, qui pourrait être une lyre, l’espace ou l’ambitus étroit où se meut la mélodie, enfui jusqu’à cet ornement léger, ce gruppetto qu’on appelle « mélisme, » et qui ressemble à une boucle sonore. Avec cela, tout est moderne, tout est jeune, et pas un de nos chants d’aujourd’hui ne saurait mieux que cet hymne d’autrefois mettre en notre cœur le trouble, et dans nos yeux presque les larmes, d’une tendresse vague et d’une étrange mélancolie.

Au contraire, il n’y a pas trace dans Phryné d’archéologie musicale. Tout y est de notre temps, y compris, en certain passage, l’irrévérence et la parodie. M. Saint-Saëns, qui fait tout ce qu’il veut, n’aurait eu qu’à le vouloir, pour changer cet opéra-comique en une savoureuse opérette. Reportez-vous seulement à certains chœurs du premier acte, qui célèbrent l’inauguration du buste d’un archonte. Comme satire, comme caricature municipale et politique, pour bafouer, pour « conspuer » selon leur mérite, quelques-uns de nos archontes modernes, la musique ne saurait déployer plus de verve et d’ironie.

Jamais non plus, depuis Gluck, Berlioz et Gounod, la musique ne témoigna plus d’admiration et de respect aux belles imaginations de l’antiquité. Dès que Phryné paraît, une atmosphère et comme un parfum mystérieux, presque sacré, flotte autour d’elle. Elle marche dans un halo sonore. La musique ici l’enveloppe ; mais, ailleurs, plus hardie et magnifiquement lyrique, elle la dévoile. On ne saurait assez rappeler et vanter le récit, fait par la courtisane, de certain bain de mer, à sa beauté glorieux, le soir où des pêcheurs, qui jetaient leurs filets, crurent voir et saluèrent en elle Aphrodite. C’est un chef-d’œuvre que cet épisode, et de plus d’une manière : chef-d’œuvre pittoresque et pathétique à la fois. Avec ampleur, avec sérénité, la symphonie et la voix décrivent, d’abord le calme nocturne et marin ; puis, avec une grâce ondoyante, les ébats de la baigneuse. Bientôt le calme se trouble et le paysage s’emplit, devant la