Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 7.djvu/152

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bout de la jupe de mailles visible sous l’armure, ni les jambières, ni les talons rehaussant dans l’ombre les étoiles d’or de leurs éperons. Au repos, on sent ce corps souple et râblé qui se détendra, la prière finie, comme un ressort d’acier et frappera dur. Dans ce sourire extasié qui découvre ses dents de loup, on devine l’âme naïve et violente, tendue, en cette minute, vers l’infini, hors d’elle-même, qui retombera, quand le corps se relèvera, au pouvoir des passions brutales et des Dieux d’En-bas… Vis-à-vis, écroulée sur ses genoux plus bas encore et dans une posture plus humble, la nonne qui pria pour lui, durant la bataille, cette Osanna dei Andrasi, qui est le bon génie des Gonzague et qui sera béatifiée, dix ans plus tard, par Léon X. Elle a le costume adopté par les peintres de ce temps pour les vieilles femmes de la Bible : ce voile blanc cachant les cheveux, couvrant le cou, et, autour de la tête, cette étoffe jaune roulée en manière de turban, désigne sainte Elisabeth, patronne d’Isabelle d’Este. Les lèvres entr’ouvertes continuent la prière commencée tandis que les doigts égrènent le chapelet. Au-dessus d’elle est saint Jean-Baptiste enfant, patron de Jean-François Gonzague. Et derrière tout ce monde, derrière les saints militaires, deux personnages sacrifiés, deux vieux barbus, dont on ne voit que les têtes, sont les deux saints patrons de Mantoue : saint André tient une fine gaule qui est une croix, et saint Longin en tient une autre, qui est une lance, — la lance dont il a percé le flanc du Christ. Saint André hausse son regard par-dessus le manteau de la Vierge et tâche de voir quelque chose de la scène, mais saint Longin manifestement s’en désintéresse et regarde hors du tableau. Je le soupçonne, ayant le type sémite très accusé, d’être le portrait de Daniele Norsa, qui pense à ses 110 ducats. Il a, dans toute cette fête, l’air modeste, effacé, de celui qui la paie.

Pour que la Madone soit mieux fêtée, on a groupé autour d’elle, dans cet étroit espace, tout ce que, à la fin du XVe siècle, on connaissait de plus beau. On a tiré des profondeurs de la mer une touffe rouge de corail mâle, qui retombe au-dessus de sa tête, comme une suspension. On a tiré des profondeurs de la terre de la griotte œil-de-perdrix et du sarrancolin pour lui servir de piédestal. On a tiré des profondeurs du ciel des oiseaux parleurs et des archanges combatifs. Tous les « règnes » de la nature ont été mis à contribution, et de l’art aussi. On a fait