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qu’elle garde Votre Excellence de tout mal et vous ramène victorieux à la maison. A cause de mon présent état de santé (elle était grosse de sa seconde iïlie) je n’ai pu suivre à pied la procession, mais je suis allée au Borgo pour la voir passer, et je suis revenue au Castello par la nouvelle chapelle qui est bien ornée. Et le chemin était rempli de monde…  »

Ce que la marquise ne dit pas, c’est que, déjà, les habitans honoraient celle Madone comme une divinité tutélaire ; déjà ils faisaient brûler, autour d’elle, des cierges et des torches. Ils voyaient dans ce chevalier un victorieux et dans cette victoire un miracle. Ils ne se trompaient qu’à demi : c’est un miracle de l’art.

Rien, en effet, des contingences, des mesquineries, des bassesses de toute cette histoire n’y a pénétré. On dirait que le peintre, enfermé dans son atelier de San Sebastiano, n’en a rien su ou qu’il a transposé chaque laideur en une équivalence de beauté, sur le plan divin, aussi naturellement et avec aussi peu d’effort que le ver à soie fait son fil de la grossière feuille du mûrier. C’est la vision radieuse d’une humanité parfaite, d’un équilibre sans fin, désormais affranchi de toute inquiétude et de tout combat. Sous un berceau de feuilles et de fruits que picorent des oiseaux des îles, la Vierge trône, comme sous le pavillon central d’une exposition d’horticulture : sous ses pieds en un bas-relief de marbre, on voit figurer le misérable petit arbre où s’enroulait le serpent tentateur, l’arbre de la pauvre science du bien et du mal ; au-dessus de sa tête, dans le Paradis retrouvé, la nature lui fait un arc-en-ciel des fruits qui ne sont pas défendus. Les deux bouts de son manteau sont relevés, à sa droite et à sa gauche, par deux géans archangéliques, saint Michel et saint Georges. Ils regardent, tous deux, un chevalier à genoux, en extase, mains jointes, levant son nez épaté et sa face lippue vers la Vierge, de façon à découvrir le blanc de ses yeux de nègre. Et l’Enfant Jésus, debout dans le giron de sa mère, le bénit. C’est François Gonzague. Il est vu dans sa carapace d’acier, à demi recouverte par une riche cotte d’armes et jupon à gros plis, brodés, qui ne cachent cependant rien d’essentiel à la tenue de combat : ni la passe-garde dressée sur l’épaule droite, ni le faucre projeté sur le sein droit, ni les cubitoires articulés à oreillons bilobés qui emboîtent le coude ni les cuissots, ni les oreillons des genouillères d’acier, ni le