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ils s’étaient unis. Cet instant n’avait pas été long ; le peu qu’il avait duré, l’union n’avait pas été parfaite. Les récriminations qui suivirent des Milanais contre les Vénitiens, des Vénitiens contre le duc de Milan, et bien d’autres ne le prouvent que trop. Pourtant, dans cette journée du 6 juillet 1495, parmi les milliers d’Italiens en armes réunis contre l’envahisseur, il y eut, sans doute, assez de volontés concordantes, enthousiastes et naïves pour dessiner, sur le fond sombre de l’Histoire, en traits malhabiles, comme des enfans qui s’essaient, une vague image de ce que serait un jour le visage unifié de la patrie. Pendant cet instant, l’Italie exista, plus de trois siècles et demi avant sa naissance officielle sur les registres de l’Etat civil européen.


III

Gonzague sortait donc de Fornoue avec les honneurs de la guerre. Il lui fallait maintenant payer ses dettes. Il en avait une envers la Madone, dont la main protectrice s’était visiblement étendue sur lui dans la mêlée. Sans mener une vie très édifiante, il était fort dévot : il ne songeait donc pas à renier sa dette envers la bonne Vierge ; mais, déjà, il méditait de s’en acquitter sans qu’il lui en coûtât rien. Il se souvint alors de ce Daniele Norsa, dont on avait assailli la maison lors de la fête de l’Ascension, parce qu’on l’avait cru coupable d’impiété envers la Madone et pensa être agréable au ciel en s’y prenant de telle sorte que l’accomplissement de son vœu [fût en même temps le châtiment du mécréant. Après avoir consulté, là-dessus, sa femme et son frère Sigismondo, le protonotaire, il décida que ce monument serait un grand tableau d’autel à la gloire de la Vierge, qu’on le ferait peindre par Mantegna et payer par le juif. On y verrait la Madone triomphante, le marquis à ses pieds en armure de bataille et toute sa famille rassemblée. On fixa le prix à 110 ducats, un peu moins de 1000 francs, que le juif dut verser incontinent, non pas entre les mains du peintre, qui aurait pu en faire mauvais usage, mais dans celles du protonotaire qui se chargeait de surveiller les travaux. Puis chacun s’ingéniant à rendre la fête plus belle, un frère des Eremitani soutint qu’à un ex-voto semblable il fallait un cadre digne de lui et proposa qu’on bâtît, pour y loger le tableau nouveau, une nouvelle église, ou tout au moins une chapelle, qui serait la