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Gonzague se voyait forcé de reculer, rien ne venant à son secours, les siens fuyant de tous côtés, les uns retournant à Fornovo, d’où ils venaient, les autres coupant au plus court pour rentrer au camp, passant le Taro par tous les gués possibles et même au hasard, vivement poursuivis par la noblesse française qui laissa, là, son Roi tout seul, pour donner « la chasse » aux fuyards. Le sol était jonché de lances jetées pour fuir plus vite. On voyait de tous côtés les valets accourus autour des hommes d’armes démontés, industrieusement occupés à les assommer en brisant, avec leurs petites hachettes, les visières des casques. Un quart d’heure avait suffi pour renverser ainsi toutes choses et, dans l’universelle déroute où il se sentait enveloppé, Gonzague, n’espérant plus rien des secours humains, se tourna vers la Madone et lui fit vœu d’un beau monument, s’il sortait de là, sain et sauf.

Il en sortit, mais dans une débâcle plus grande encore qu’il ne se l’était imaginé. Car les choses ne s’étaient pas mieux passées à l’autre bout de la bataille qu’au sien. Caiazzo, chargé d’enfoncer, ou tout au moins d’occuper l’avant-garde française, n’avait pu persuader à ses hommes d’aborder l’ennemi. Quand il s’était trouvé en présence des rudes bandes suisses d’Engelbert de Clèves et des hommes d’armes du maréchal de Gyé, au moment de croiser les lances, son escadron s’était rompu de lui-même, comme sous la pression de l’air comprimé. Sa réserve, massée sur l’autre rive, n’avait pas bougé, tenue en laisse par les provéditeurs de Venise qui ne voulaient pas tout hasarder d’un coup. Et tout ce monde rentrait précipitamment au camp de Giarola, sans compter les milliers de gens qu’on voyait courir sur la route de Parme, sur le chemin de Fornovo, et dont quelques-uns allèrent même jusqu’à Reggio, fuyant par toutes les routes, dans toutes les directions, en éventail. Cette peur était gratuite : nul ne les poursuivait, pas un Français n’osait passer le Taro et le corps du maréchal de Gyé demeurait immobile sur l’autre rive, comme une armée de statues. Mais les paniques les moins justifiées sont les plus irrémédiables. Et en rentrant au camp, Gonzague vit qu’on chargeait déjà les tentes sur les mulets et que les réserves mêmes allaient battre en retraite. « A un moment, écrira-t-il plus tard, nous avons envisagé la ruine de l’Italie entière ; nous tremblons encore quand nous y pensons !…  »