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conseils : le danger, le destin, le devoir et peut-être aussi les belles proportions de son cheval, Savoie, lui faisaient un piédestal subit.

Cependant Gonzague avançait toujours avec les siens, en rangs serrés, lentement à cause des gros cailloux de la grève, qui roulaient sous les pieds des chevaux, rendus plus glissans encore par la pluie qui n’avait pas cessé de tomber et parmi les arbustes foisonnant dans l’ancien lit du torrent. Quand il fut à cent pas des Français, avec toute sa maison autour de lui, ses deux compagnies bien en main, confiant en la solidité de sa monture et la bonté de sa cause, sentant le cœur de toute l’Italie battre, en ce moment, avec le sien, il commanda la charge. Les deux compagnies s’enlevèrent au petit galop, les lances s’abaissèrent, les coudes pointèrent en arrière et toute cette masse pesante et sonore s’abattit sur les Français comme une trombe d’acier.

Si rude que fût le choc, la ligne française ne plia pas. Le peu de gens d’armes qui s’y trouvait sachant le Roi en jeu et avec lui la fortune de la France, se cramponnait au sol qu’il tenait. Les archers écossais rangés près d’eux résistaient avec ce sang-froid qui les rendait redoutables à toute l’Europe. Les deux partis se pénétrèrent et il y eut un instant de corps à corps. Les Français n’avaient pas lâché pied, mais leurs rangs s’étaient entrouverts devant les gens du marquis et sur leur droite, du côté de la colline, les stradiots les avaient entièrement débordés. Des clameurs s’élevaient derrière le camp de Charles VIII, là où cheminaient ses bagages et où l’on avait, déjà, dressé provisoirement ses tentes. Ces cris perceptibles à travers le crépitement des coups, le soprano aigu des trompettes et le fracas du tonnerre, annonçaient que les Français étaient tournés. À ce moment, le marquis crut bien avoir bataille gagnée. Il voyait, à quelques pas de lui, le roi de France, à peine séparé des Italiens par un rideau de combattans, fort mal gardé, bien reconnaissable à ses immenses panaches blancs et violets, à sa jaquette violette et blanche semée de « croisettes de Jherusalem,  » flottante par-dessus son armure, et à son cheval noir qui bondissait de tous côtés. Toute la noblesse mantouane poussa vers cette proie magnifique et qu’elle croyait déjà saisir. Déjà pointaient sur lui des lances pour le démonter, lorsque Mathieu de Bourbon, « le grand bâtard » qu’il venait d’élire, l’instant d’avant, pour son «  frère d’armes, se jeta