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la rivière, on voyait leurs têtes et leurs lances. D’abord passèrent les hommes d’armes du maréchal de Gyé et du fameux Trivulce, l’ennemi mortel de Ludovic le More, troupe superbe à voir avec ses hautes lances, ses immenses panaches et son essaim d’écuyers, puis-les bandes suisses, 3 000 hommes d’élite, flanqués des arbalétriers gascons et de 300 archers de la garde qui avaient mis pied à terre pour ajuster, s’il le fallait, avec toute la sûreté possible, puis l’artillerie légère : les fauconneaux, et grosse : les quatorze coulevrines transportées pardessus l’Apennin, le tourment et la gloire de l’armée. C’était l’avant-garde.

Ensuite, passèrent à quelque distance, les gens du comte de Foix, du grand bâtard de Bourbon et de la Maison du Roi, le Roi lui-même, avec ce que l’on appelait les « gentilshommes de vingt écus » et un certain nombre de fantassins ; enfin, à quelque distance encore, parurent les hommes d’armes du duc d’Orléans, menés par Robinet, seigneur de Frammeselles, ceux du seigneur de la Trémoïlle, et les archers écossais. Parallèlement et tout à fait dissimulés par cette procession, les bagages en longue file, avec les valets de sommiers, suivaient les coteaux parallèles au Taro et tâchaient de se faufiler, eux aussi, vers le Nord. Tout ce monde s’écoulait dans le même sens que le Taro, vers le village de Felegara et plus loin vers celui de Medesano, semblant vouloir gagner la route de Plaisance, comme si nul n’était là pour l’en empêcher. Gonzague comprit que, s’il tardait plus longtemps, l’ennemi lui échappait. Il était déjà deux heures de l’après-midi environ. Depuis le matin, Commynes l’amusait en lui dépêchant trompettes sur trompettes avec de nouvelles offres de paix. Il n’était que temps de couper court et, malgré son oncle Rodolfo Gonzague qui plaidait pour les Français et un des provéditeurs qui hésitait encore à compromettre Venise, il décida d’attaquer.

Il avait été mauvais stratège : il fut bon tacticien. Démêlant sans peine que toute la force française était portée à l’avant-garde, et ; que cette colonne cheminant dans l’étroit couloir entre les collines où elle ne pouvait se déployer et le torrent qu’elle ne pouvait franchir, était incapable de revenir sur elle-même de façon que la tête portât secours à la queue, il résolut de lancer ses meilleures troupes sur l’arrière-garde, et ainsi de froisser le faible du fer ennemi, avec le fort du sien, tandis que