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D’ailleurs, ils se croyaient maintenant assurés du succès, vu le petit nombre des soldats de Charles VIII et sachant qu’il traînait à sa suite un riche bagage, leur plus grande crainte était qu’il ne l’amenât pas tout entier dans le traquenard où il se jetait étourdiment ; ils craignaient fort qu’en attaquant l’armée française avant qu’elle fût tout entière sous leur main, on effrayât les « sommiers » et toutes leurs richesses et qu’on les vît s’égailler par tous les sentiers des montagnes où l’on ne pourrait les rejoindre. Ils se bornèrent donc à montrer leurs stradiots qui épouvantèrent les Suisses. Les Français leur répondirent en tirant des coups de « faucon » qui épouvantèrent les stradiots. Et après cette exhibition de leurs croquemitaines respectifs, ils pensèrent qu’il était temps de causer.

Ce fut Charles VIII qui dit les premiers mots. Le 3 juillet, le marquis Gonzague écrit à Isabelle d’Este : « Hier soir, le roi de France m’a mandé un trompette qui, au nom de Sa Majesté, m’a demandé le passage libre et des vivres, contre argent, ayant l’intention de passer comme ami (coma amico) ; à laquelle requête nous n’avons pas donné de réponse, ayant l’intention de nous entendre, d’abord, avec la très illustre Seigneurie de Venise…  » Venise était loin, et l’on saisit, ici, tout l’embarras du condottiere qui n’était qu’un chef militaire aux gages d’un pouvoir politique, lorsqu’il se trouvait en face d’un chef politique et militaire à la fois. La partie n’était pas égale. Charles VIII pouvait à la fois combattre et négocier, Gonzague ne pouvait que combattre. Et il n’osait le faire, quel que fût le cas, malgré l’assurance qu’il avait du succès, parce qu’il ne savait au juste, et nul ne savait ce que voulait Venise : la destruction des Français ou leur alliance, la protection du Milanais ou l’envahissement de quelque autre partie de l’Italie  ? S’il n’eût tenu qu’à lui, peut-être eût-il été chercher l’ennemi jusque sur l’autre versant des Apennins, au lieu de l’attendre sur le Taro, et, l’attaquant dans les défilés de la Magra, l’eût-il facilement écrasé. Mais Venise lui avait formellement interdit de risquer un seul homme de l’autre côté des Apennins. D’autre part, toute la région de Parme était travaillée par des sympathies françaises. Le camp de la ligue était déjà situé à 13 kilomètres de cette ville. En le reportant plus loin, il courait le danger de voir se soulever tout le Parmesan derrière lui. C’est ainsi que la politique liait les mains au soldat et qu’il paraissait