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Mantoue, porteurs de nouvelles de plus en plus glorieuses. A la vérité, François Gonzague n’avait jamais eu peur. Dès le 21 juin, écrivant à Isabelle d’Este, il lui avait décrit son armée comme « la plus belle et la plus puissante qu’on eût vue depuis longtemps en Italie » et comme « suffisante, non seulement pour résister aux Français, mais pour les exterminer à jamais[1].  » Mais après les premiers raids de ses stradiots, c’est un délire. Le 2 juillet, il récrit à sa femme qu’il qualifie d’Illustrissima conjux amantissima : « Les ennemis sont tellement épouvantés que c’est incroyable !  » Il lui annonce que les gens de son frère Alfonso d’Este sont arrivés le matin même et ajoute : « C’est pourquoi nous vous engageons à vous tenir contente et à dormir tranquille, espérant fermement que Notre Seigneur Dieu mettra en nos mains une glorieuse victoire dans l’entreprise d’où dépend le salut public de toute l’Italie…  » et il date bravement sa lettre, comme si c’était déjà chose faite, de l’armée victorieuse : Ex castris victricibus sanctissime et serenissime Lige in valle Taro prope Glarolam.  »

Elle l’eût été, en effet, si elle avait manœuvré un peu. Les Français descendaient de la montagne par petits paquets, leur avant-garde à trente kilomètres en avant du Roi, le reste échelonné en une file interminable, cahotée, descendante et remontante, au gré du sol, empêtrée dans les précipices, exténuée, rendue. Pendant trois jours, le maréchal de Gyé, arrivé le premier, fut seul à Fornovo, n’ayant que cent soixante hommes d’armes et huit cents Suisses pour faire face à l’armée italienne, « en l’air,  » comme on dit. Mais les Français ayant commis cette faute énorme, les Italiens commirent la faute encore plus grande de ne pas les attaquer, chacun des deux partis accumulant le plus qu’il pouvait de maladresses, afin, sans doute, que le ciel et les saints, qu’on invoquait des deux côtés, eussent tout l’honneur de l’affaire. Les 40 000 hommes de la ligue regardèrent descendre, peu à peu, l’armée française, comme ils regardaient couler le Taro, et la laissèrent se concentrer commodément à Fornovo, se ravitailler et se ranger en bataille, selon la belle ordonnance de l’époque : avant-garde, « bataille » et arrière-garde. On eût dit des gens au spectacle, qui n’ont rien à faire sur la scène et ne songent pas à y monter.

  1. «  Questo solo exercito non solamente sará sufficiente a resistare alli franzosi ma ad exterminarti pcrpetuamente.  »