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menacée. Avec une proportion de vingt-quatre naissances pour 1 000 habitans, comment pourrait-elle résister à la pression de Québec où la natalité dépasse 40 pour 1000 ? De plus en plus, les comtés du Nord et de l’Est sont envahis par l’élément français ; l’orgueil des colons anglais s’en désespère et s’en exaspère à la fois. Un grand organe de Londres, étranger à toute passion de race et de parti, l’Économiste signalait dans une correspondance du Canada le rôle joué aux dernières élections par la Ligue Orangiste, qui compte dans l’Ontario 2 000 loges, soit, dans chaque circonscription, quinze comités, acharnés contre le premier ministre canadien-français. C’est ce que notait au lendemain du scrutin le journal canadien la Presse.


Les argumens employés contre l’administration libérale par le parti conservateur n’ont pas tous été d’ordre économique. Le fanatisme de race et de religion en a fourni sa large pari, et ce ne sont pas ceux-là qui ont été les moins puissant ; sur l’opinion. Nous savons qu’il y avait toute une organisation qui s’était spécialement chargée de circonvenir les « British born, » c’est-à-dire toute cette population d’immigrans qui nous est venue au pays depuis huit ou dix ans. Le mot d’ordre de cette organisation était : « Down with Romanism ! » A bas l’Église romaine ! On n’avait garde de le crier dans les assemblées publiques, mais on le répétait de bouche en bouche dans la cabale secrète. Le terrain avait été, d’ailleurs, depuis assez longtemps préparé par le « News » et les autres journaux orangistes, dont on sait la campagne ardente contre la prétendue prépondérance romaine, surtout au sujet du fameux décret « Ne temere. » Les « British born, » dans leur haine séculaire du papisme et dans leur orgueil de race, ne pouvaient souffrir plus longtemps qu’une colonie britannique fût gouvernée par un premier ministre catholique et canadien-français. La province d’Ontario a peut-être voulu défaire la réciprocité ; mais elle a certainement, voulu par-dessus tout renverser sir Wilfrid Laurier.


Un autre organe libéral, le Canada, disait de même :


Lorsque l’on examine en détail le résultat des élections d’avant-hier, on constate indubitablement que c’est une victoire impérialiste.

Sir Wilfrid Laurier, appuyé par la province de Québec, était le champion de l’autonomie canadienne, dans les relations du Dominion avec l’Empire, comme avec les nations étrangères.

On avait avec soin cultivé dans les provinces anglaises le sentiment qu’il s’était montré, aux diverses conférences impériales, trop peu soucieux de resserrer les liens, tant économiques que politiques, qui nous unissent à la Grande-Bretagne ; qu’il avait au contraire, et jusque dans l’organisation de la marine des colonies autonomes, arraché au gouvernement impérial des concessions que, sans son prestige, les autres Dominions n’auraient