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matérielle, elle a besoin d’une force morale qui est en elle ce que l’âme est au corps. Que cette force morale soit intacte, nous voulons le croire mais on a essayé de l’entamer. Des révélations ont été faites à la Chambre à ce sujet, et nous ne saurions trop déplorer qu’elles aient pu l’être à propos d’une discussion sur les instituteurs. Qu’un mauvais vent ait soufflé sur ces derniers, il faut un optimisme voisin de l’aveuglement pour le contester. Le congrès de Chambéry, où les syndicats interdits par la loi, tolérés provisoirement par les pouvoirs publics, se sont rattachés à la Confédération générale et aux Bourses du travail, ont recommandé le « Sou du soldat » à leurs adhérens, ont fait enfin œuvre de propagande révolutionnaire, antimilitaire, antisociale, a jeté sur cette situation des torrens de lumière. Si la majorité des instituteurs a résisté à la contagion, beaucoup y ont succombé, et l’inertie du gouvernement en présence d’un mal aussi dangereux, aussi évident, aussi arrogamment affiché, aurait déplorablement affaibli la résistance des autres. Le ministère actuel l’a compris : il a parlé, il a même agi, et, s’il n’a pas encore eu toute la fermeté que nous aurions désirée, il en a montré beaucoup plus que ses prédécesseurs. Les instituteurs ont été étonnés de recevoir l’ordre formel de dissoudre leurs syndicats et d’être traduits devant les tribunaux pour ne l’avoir pas fait. On était pendant les vacances : ils comptaient sur la Chambre à sa rentrée ; ils étaient habitués à y trouver des avocats ardens et passionnés qui prenaient leur cause en main sans se préoccuper de savoir si elle était bonne ou mauvaise ; il suffisait que ce fût la leur pour qu’on déclarât que c’était celle de l’école laïque elle-même, et tout le monde sait que l’école laïque est la « pierre angulaire de la République. » Ces avocats, les instituteurs les ont bien trouvés, mais autour d’eux l’atmosphère était changée ; la Chambre les écoutait sans s’échauffer. Bientôt pourtant elle s’est émue. Nous avons dit que des révélations inattendues ont été faites ; elles l’ont été par divers orateurs, mais plus particulièrement par M. Messimy qui, lors de son passage au ministère de la Guerre, a constaté les ravages qu’a faits dans l’armée la propagande antimilitaire et la participation qu’y ont prise les adhérens au « Sou du soldat. » Au moment de l’alerte de l’année dernière, provoquée par ce qu’on a appelé « le coup d’Agadir » et par les négociations laborieuses qui ont suivi, une véritable conspiration s’est formée dans l’armée en vue d’en « saboter » la mobilisation, si elle venait à être ordonnée. M. Messimy a donné à cet égard des renseignemens très précis : les fauteurs de l’entreprise ont été découverts et envoyés par lui dans les compagnies de discipline.