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« tapisserie » de la reine Mathilde. Les fers trouvés sur le champ de bataille d’Azincourt, ou recueillis en nombre d’autres lieux et portant le même caractère de crénelure sur le bord extérieur, indiquent de très petits chevaux.

Vous serez moins surpris ensuite d’entendre du Bellay et Monstrelet (1536) qualifier de « grands chevaux » ceux qui ont depuis 1m, 51 ; les autres, appelés « petits chevaux, » n’ayant pas plus de 1m, 44. A la même époque, de l’autre côté du détroit, Henri VIII proscrivit les chevaux d’une taille trop exiguë et décida qu’ils devraient avoir 1m, 40, d’où l’on peut inférer que ce minimum était rarement atteint par la généralité de l’espèce. Le même prince défendait de laisser vaguer les étalons dans les herbages et forêts.

En France aussi, nous avions alors beaucoup de « bêtes folles » qui naissaient et vivaient sans aucune relation avec leurs maîtres. Ceux-ci voulaient-ils « courir du haras, » comme on disait au XVIe siècle, c’est-à-dire capter quelques-uns de ces chevaux qui leur appartenaient, ils allaient battre les bois avec une trentaine de compagnons et s’efforçaient d’amener, dans des enclos formés par des palissades ou des accidens de terrain, les chevaux qu’ils avaient en vue. Souvent, malgré des chasses acharnées, on les manquait ; il fallait recommencer quelques jours plus tard. Le sire de Gouberville note qu’un de ses voisins, acquéreur de « jumens folles » dans une adjudication de biens meubles, finit par mettre la main sur des animaux « qu’on avait failli à prendre plus de cinquante fois depuis deux ans. »

Tel était un des modes de l’élevage dans le Cotentin, sous le règne de Henri II (1557). Que cette race « hagarde, » ainsi qu’on nommait ces chevaux à demi sauvages, n’eût pas sa pareille pour la sobriété, nous l’admettrons sans peine. Quant au cœur et à la solidité que les contemporains lui attribuaient, nous y croirons moins volontiers, parce que nous voyons aujourd’hui sur le globe nombre d’échantillons de ces chevaux qui poussent naturellement dans les contrées à moitié désertes, et qu’en dehors du mérite qu’ils ont de ne coûter à peu près rien et de vivre presque sans manger, habitués qu’ils sont par nécessité à mourir de faim, ce sont des types si médiocres qu’il en faut quatre ou cinq pour faire la besogne d’un seul en pays civilisé.

Il arrive encore à un homme de mourir de faim dans notre république, mais cela n’arrive plus à un cheval. Les conditions