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sous le pseudonyme de « Violetta, » et la reine sa maîtresse sous celui de « Magnolia, » la jeune fille écrit à sa sœur les lignes que voici, — ingénument significatives sous la subtilité de l’espèce de « dédoublement » que lui dicte son goût naturel de discrétion, encore exagéré depuis son arrivée à la Cour :


Je comprends si bien la répugnance secrète de la pauvre Violetta à s’acquitter de la commission de M. Fairly auprès de Magnolia ! En vérité, le bon M. Fairly pousse très loin le dédain des apparences, ou bien il néglige à un degré surprenant de se rendre compte des bruits que ne peuvent manquer d’avoir occasionnés ses longues visites quotidiennes dans la chambre de la Femme de Ménage (autre désignation de Fanny elle-même) !… Mais comment lui savoir mauvais gré de quoi que ce soit ? Toutes choses en lui attirent et émeuvent. Ma seule crainte est de songer que, si c’était moi qui me fusse trouvée à la place de Violetta, j’aurais bientôt couru le risque de m’intéresser un peu trop profondément à lui. Bah ! je me réjouis du moins de constater qu’il n’en est pas ainsi dans son cas.


Peu de temps après le retour de Cheltenham, le roi George subit sa première crise de folie. La Cour se transporte précipitamment au palais de Richmond, où chaque jour nous apprenons que l’incomparable M. Fairly a donné à son malheureux maître une marque nouvelle de son dévouement. Lui seul réussit à calmer la fureur du malade ; lui seul découvre dans son noble cœur le secret des paroles qui doivent être dites. Inutile d’ajouter que, profitant de l’occasion de cette maladie du Moi, le chambellan vient passer ses soirées dans l’appartement de Fanny Burney, ce qui vaut à celle-ci d’aigres reproches de sa supérieure hiérarchique et persécutrice ordinaire, la vieille Mme de Schwellenberg. Un jour, la reine Charlotte s’avise de questionner Fanny sur ces visites de M. Fairly. Que l’on se figure l’émoi de la pauvre fille, et puis son soulagement lorsqu’elle découvre qu’elle s’est trompée sur le véritable objet de la question de la Reine ! « Du moins, note-t-elle dans son journal, j’avais la satisfaction de songer que, pour possible qu’il soit par instans d’avoir des doutes sur les vues avec lesquelles M. Fairly me fait ces visites, jamais je ne l’ai reçu, pour ma part, avec même le plus faible rayon d’espérance, si ce n’est du seul honneur de son amitié. »

Peu à peu, cependant, il semble que les visites de M. Fairly deviennent plus rares ; il y a maintenant des lettres entières de Fanny Burney où son nom n’apparaît plus, sauf d’ailleurs à s’accompagner toujours, quand il revient dans les lettres suivantes, des mêmes épithètes élogieuses, attestant que la petite « Violetta » continue toujours