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certain nombre d’empereurs intelligens. Donc, je suis indifférent à la forme du gouvernement.

Je trouve qu’il n’était pas loin d’avoir raison.

Quant aux principes directeurs de la Révolution française, il les trouvait détestables. Ces principes, on le sait, ne sont pas du tout Liberté, Egalité, Fraternité ; ils sont Egalité et Souveraineté de la majorité. Or Le Play, précisément parce qu’il est libéral, n’a aucune tendresse ni pour l’Egalité ni pour la Souveraineté de la majorité.

Voici la suite de sa pensée.

Il est libéral. Il a donné une des meilleures définitions que je sac lie de la Liberté ; il a dit : « Les peuples libres et prospères assurent à chaque individu, dans la vie privée comme dans la vie publique, toute l’indépendance dont il peut jouir, même à son détriment, pourvu qu’il ne porte atteinte, ni à l’indépendance des autres individus, ni aux intérêts généraux de la société. On peut appliquer convenablement à un tel régime le mot liberté… »

Il faut seulement remarquer que, le mot étant amphibologique, comme tous les mots, ce mot de liberté jeté aux foules leur fait croire à une indépendance individuelle, sinon absolue, du moins extrême et qui ne s’arrête ni devant la liberté des autres ni devant l’intérêt de l’État, et voilà pourquoi le libéral, il faut le savoir, même quand on l’est, contient l’individualiste, et l’individualiste contient le libertaire, et le libertaire contient l’anarchiste ; ou plutôt, l’une de ces mentalités peut conduire à l’autre et celle-ci à la troisième.

De plus, il ne faut pas ignorer que les révolutions égalitaires prononcent, sérieusement peut-être, le mot de liberté et sont par essence hostiles à la chose. La Révolution de 1789 a mis le mot liberté sur ses écussons et « plus j’observe et plus j’arrive à constater que la date de 1780 serait plutôt la date initiale de l’amoindrissement graduel de la liberté. »

Sur ce point, il y aurait à discuter. Le Play a raison et a tort. Avant 1789, il y avait plus de libertés et moins de liberté. Il y avait plus de libertés fragmentaires et moins de liberté nationale. Il y avait beaucoup de libertés provinciales, municipales, associationnelles, corporatives, beaucoup plus, — c’est parfaitement vrai, — que dans la France moderne ; mais il n’y avait pas de liberté nationale, c’est-à-dire de droit, pour la