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à peu près indifférente et que République avec institutions aristocratiques ou Monarchie avec institutions aristocratiques se valent très bien, de même que République démocratique et Monarchie absolutiste se valent pareillement et sont pareillement détestables.

L’argument des monarchistes contre ceux qui sont dans mes idées est celui-ci : « La démocratie est destructrice par essence et la monarchie n’est destructrice que par accident. » Ceci me paraît admirablement faux. La monarchie française a été destructrice de toutes les libertés françaises et c’est-à-dire de toutes les forces françaises, les libertés étant les mises en action des énergies individuelles ou des énergies associées, et donc elle a été destructrice de la France, non pas comme le croit Le Play depuis 1661, mais depuis l’avènement de Richelieu, jusqu’en 1789. C’est peut-être accidentel ; mais c’est un accident un peu long. La monarchie française, pour laquelle, à d’autres égards, je professe un grand respect, a été centralisatrice à outrance et c’est-à-dire destructrice, autant qu’elle le pouvait, de toutes les énergies individuelles ou associées, depuis Richelieu jusqu’à Louis XVI inclusivement ; la monarchie française a révoqué l’Édit de Nantes depuis 1695 jusqu’aux décrets de tolérance de Louis XVI, et je dis elle l’a révoqué activement, avec persécutions, pendant tout ce temps : et c’est accidentel, mais c’est ce qu’on appelle un accident prolongé.

La vérité est que tout despotisme, qu’il soit monarchique ou qu’il soit démocratique, n’admet aucune décentralisation et prétend, toujours, par une chaîne serrée de fonctionnaires allant du sujet isolé au pouvoir central, ramasser en lui tous les pouvoirs et imposer à tous une unique et indiscutable et inflexible volonté.

Donc Monarchie absolue et Démocratie c’est à très peu près la même chose ; il n’y a que des nuances. Donc le scepticisme relatif de Le Play pour ce qui était de la forme du pouvoir supérieur se comprend très bien. Il se disait : Je suis décentralisateur et libéral. Ni la démocratie ni la monarchie absolue ne veulent liberté et décentralisation. Et aussi république aristocratique et monarchie intelligente et même, si cela se rencontre, démocratie intelligente, peuvent admettre liberté et décentralisation. Rome a été libérale (non décentralisatrice) en république aristocratique ; elle a été libérale et décentralisatrice sous un