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animées d’un excellent esprit. Elles poursuivent, de concert, une vaste opération dont les résultats seront lents, et dont l’exécution aura certainement des péripéties diverses. Pour moi, qui ai vécu et vis au milieu de ce grand et beau mouvement, j’ai une espérance très ferme. Que nous entrions bien en campagne et nous serons sauvés. Le gouvernement de Tours est très attaqué et très critiqué ; il a fait sur plusieurs points des fautes graves en politique intérieure ; mais au point de vue militaire, il faut lui rendre un hommage complet. L’armée de la Loire est un vrai chef-d’œuvre. On a concentré là, d’abord, toute la force d’activité ; mais cela rayonnera partout, et cette armée, dévouée et disciplinée, peut devenir un foyer qui nous régénérera. Je ne puis vous donner des détails ; croyez-m’en sur parole et dites-le autour de vous : on a fait des merveilles, et on les a faites sans bruit et sans étalage. Le ministère de la Guerre est un modèle d’activité modeste, savante, silencieuse. Je ne sais si ces hommes réussiront, mais si Dieu veut, pour le bonheur de la France, que leurs noms sortent de l’obscurité où ils les renferment maintenant, ils auront mérité l’éternelle reconnaissance du pays. On ne sait pas assez contre quels obstacles ils ont eu à lutter, quelle force d’inertie ils ont rencontrée partout : ils n’ont voulu rien annoncer, ni rien promettre, ils ont eu raison. Il vaut mieux, si la victoire vient, qu’elle nous surprenne. Je me résume en disant : il reste beaucoup à faire, mais ce que l’on a fait est prodigieux. Bourbaki, qui est un brave militaire, mais animé du déplorable esprit de dénigrement de l’ancienne armée, a dit l’autre jour à Gambetta : « Quand je suis revenu de Metz et que je vous ai entendu parler, je vous ai cru fou ! » Et le même général, qui avait refusé le commandement en chef de l’armée de la Loire il y a deux mois, vient d’y accepter aujourd’hui la conduite d’un corps et est plein d’enthousiasme. Gardez cela pour vous et jugez. J’ai quelquefois de l’impatience en entendant contester des efforts aussi remarquables que ceux auxquels j’assiste ; mais je me rends compte que l’on ne sait rien et qu’il vaut mieux que l’on ne sache pas.

Il fait très beau temps : après le déjeuner nous allons nous promener sur les bords de la Loire ou du Cher : le pays est ravissant. Le 1er nous avons rencontré Gambetta ; il parait qu’il savait que la sortie de Trochu avait eu lieu la veille et qu’il était dans une terrible impatience. Il s’est trouvé mal en lisant cette fameuse dépêche tombée à Belle-Isle-en-Mer, au lieu même où