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LES SABLES MOUVANS.

étaient des mots d’amour. Elle n’avait pu demeurer là-bas plus longtemps ; elle ne pouvait vivre sans Nicolas. Elle avait eu comme un pressentiment qu’il était triste, qu’il avait besoin d’elle. Alors, sans écrire, sans même télégraphier, sans vouloir surtout s’occuper de régler aucune odieuse question d’intérêt, elle était revenue par le train le plus rapide. Ah ! qu’elle avait souffert dans cet affreux voyage ! comme elle avait été privée de son appui unique pendant ces déchirantes scènes de la fin, les adieux à son père mourant, à son père mort ! Nicolas répétait, comme hébété :

— Ton pauvre père, ton pauvre père ! Mais il est heureux, lui. Oh ! ne le plaignons pas !

— C’est l’idée de ton travail qui m’a soutenue dans mon chagrin, reprenait Jeanne. Maintenant, montre-moi ma récompense. Fais la lumière, veux-tu ?

Froidement, sans desserrer les lèvres, Nicolas obéit. Il y eut une seconde d’éblouissement, puis tout sortit des ténèbres ; la toile du chevalet avec le Christ sans visage, la grande composition où quelques taches marbraient la joue du petit garçon, et la palette brisée d’où le vermillon avait lentement coulé sur le parquet en un caillot rouge. Jeanne demeura plusieurs minutes sans rien dire, consternée. Puis son regard chercha Nicolas, l’interrogea.

— Je n’ai pas pu, dit-il avec une rage contenue, je n’ai pas pu. Je suis fini ; comme cela, vois-tu.

Et il lui montra les débris de la palette.

Plus elle l’observait, moins elle le reconnaissait. Un avertissement lui vint que, pour eux, tout allait changer, et elle eut une épouvante dont l’horreur dépassa ce qu’elle avait ressenti en voyant mourir son père. Puis l’accablement de Nicolas lui fit pitié : sans le questionner, sans manifester aucune surprise, elle l’enlaça, reprit son rôle.

— Nicolas, Nicolas, songe à ce que le monde attend de toi ; ce tableau, il l’escompte comme une joie promise ; des milliers de gens s’en iront meilleurs après l’avoir contemplé. Tu doutes de toi, mais ferme les yeux et confie-toi à ta maîtrise. On te l’a dit cent fois, tu es Ingres, et tu es Vinci, et tu as trente-six ans ! Tu es dans toute ta puissance, et, je le sais bien, moi, cette œuvre qui va naître de toi, nul artiste, dans aucun siècle glorieux, ne l’aura jamais égalée. Ce sera beau comme l’Évangile.