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philosophe, meurt non seulement chrétiennement, mais pieusement. Sa douleur « a fini par le jeter au pied des autels où, depuis quelque temps, il implore l’Eternel avec ferveur. » Il a consenti à une confession publique, et la méditation des vérités religieuses « lui procure un soulagement, une paix inespérés. » « Qu’il sache bien, fait-il dire à son fils, que la force de caractère est inutile, et que toute qualité même est dangereuse pour qui ne les emploie pas contre ses passions. » — « Se soumettre, écrit-il enfin dans son Journal, telle est la condition humaine ; en suivant la route tracée par la religion et les lois, quelque bonheur encore peut se rencontrer ; c’est ainsi au moins qu’on évite les cuisans regrets, les remords ! ! ! Tout changement brusque, même pour faire le bien, attaque, je le vois maintenant, le respect que les hommes portent à leurs habitudes, à leurs institutions. Le bien, pour être utile, doit venir petit à petit et ressembler à la croissance, qui, bien qu’invisible, amène chaque chose créée à son degré de perfection. » Voilà une philosophie pleine de sagesse et de bon sens : le révolutionnaire d’autrefois est devenu un prudent évolutionniste ; on ne saurait plus nettement condamner cette fougue d’individualisme que le principal héros, et, ce semble, l’auteur du roman lui-même ont prêchée jusqu’alors avec tant d’insistance.

Qu’est-ce à dire ? Et que signifie exactement, en guise de conclusion, et de « moralité, » ce curieux revirement qu’on ne pouvait guère prévoir ? L’influence de Chateaubriand, que nous avons vue se mêler à quelques autres dans le cours du roman, aurait-elle fini, presque à l’insu de l’auteur, par l’emporter sur celle de Voltaire ? et comme dans Atala et René, et à l’imitation de ces deux « épisodes, » serions-nous ici en présence d’une fiction à tendances « anticléricales » et aboutissant à une conclusion chrétienne ? Ou bien, de propos très délibéré, Aimée de Coigny aurait-elle voulu faire en terminant quelques concessions au goût et aux tendances « conservatrices » du public, qu’elle craignait de désobliger par l’audace de sa pensée ? Ou bien enfin, tout simplement et très sincèrement, sa pensée se serait-elle assagie et purifiée au cours des années ? L’âge venant, et la maladie, et l’isolement, et les déceptions de toute sorte, aurait-elle vu enfin, et compris, et mesuré la foncière vanité de cette ardeur sensuelle, de cette joie de vivre qui l’avait si longtemps possédée, et qui, déjà, avait en elle si vivement frappé