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guère plus bienveillant pour le nouveau régime : « Les anciens abus reviennent en foule, mande-t-il à Joseph II. Le contrôleur général actuel ne jouit d’aucun crédit, d’aucune considération, ni, à ce que croit le public, d’aucune capacité. Le comte de Maurepas, plus affaissé que jamais par l’âge et les infirmités, n’est ni en état, ni, par caractère, en volonté de remédier à tant d’inconvéniens, et toutes les branches du gouvernement restent en souffrance[1]. »


VII

Maurepas, d’ailleurs, tout penchant qu’il fût vers la tombe, redoublait d’insouciance, de légèreté, de gouailleuse ironie. Jamais homme ne fut à la fois plus clairvoyant et plus frivole, n’eut une plus claire vision des périls menaçans et n’en prit son parti avec une plus aimable aisance. Jamais chef de gouvernement n’entassa gaiement plus de ruines. La Reine elle-même, si éloignée qu’elle fut du sérieux de la vie, était parfois scandalisée de sa futilité, souffrait du ton dont il traitait les questions les plus importantes. Elle raconte à Mercy, un mois après le départ de Necker, que le Mentor, dans un entretien tête à tête, lui a confié que Joly de Fleury serait sans doute « de bonne humeur » tant qu’il aurait de l’argent dans ses coffres, mais que l’heure approchait où il serait k bout de ressources et que l’on ne tarderait guère à « le voir déchanter, » et il mêlait ces confidences de rires, de brocards, de bons mots,, au point que Marie-Antoinette sentait, en l’écoutant, son cœur se gonfler de mépris, d’indignation contenue[2].

C’était, ou peu s’en faut, un moribond qui parlait de la sorte. A quelques mois de là, dans les premiers jours de novembre, une crise de goutte se déclarait et se portail bientôt au cœur, le mettant dans un grand danger. Le vieillard le savait, et son unique souci était de s’assurer un héritier selon son goût. « Depuis deux jours, écrit Kageneck[3], il est à toute extrémité. Il s’en rend compte, et il fait des efforts désespérés pour faire agréer à sa place le duc d’Aiguillon. » Pour tenter de le prolonger, on recourait, en désespoir de cause, à un

  1. Lettre du 18 octobre 1781. — Correspondance publiée pur Flammermont.
  2. Dépêche du 21 juin 1781. — Ibidem.
  3. Lettre du 9 novembre 1781.